La petite « soupe » de Christine Angot

Je la regarde. Elle ne me voit pas. Nous partageons le même espace temps, mais sommes invisibles l’une à l’autre. Avant même d’avoir commencé, le combat est inégal et injuste. Des milliers d’yeux contre une seule paire. Le ring télévisuel répond à la topographie de nos enfers modernes, entre les monologues des mobiles, la solitude facebookienne et la synchronicité des accros à Candy Crush. Elle parait mal emmaillotée dans sa peau. Elle ne sait pas quoi faire de ses mains. Elle se tient, légèrement voûtée, le cul sur une fesse au bord du fauteuil. Il y a chez cette femme dont la minceur presque austère du corps répond à la sécheresse du visage, l’ébauche d’une fragilité cristallisée. Une dureté construite. Elle me fait songer à l’une de mes grands-tantes disparue, une institutrice aussi flexible que la badine qui caressait les bras et les jambes de ses jeunes élèves. Les mêmes pommettes enfiévrées de colère retenue sous la contradiction, le même regard serré de réprobation, le même air pète-sec. Il y a quelque chose d’impudique dans cet effeuillage public d’une nudité quelque peu cléricale qui reste correctement vêtue de triste.

Je n’avais encore jamais rien lu de cet écrivain, quelque peu refroidie par les polémiques médiatico-germanopratines qui entourent la publication de chacun de ses ouvrages, la propulsant au pinacle du génie littéraire ou bien la réduisant aux opacités de l’enfumage intellectuel. Il faut dire également que son fonds de commerce relevant des ses traumas de l’enfance, dans son cas l’inceste – à l’instar de ces thématiques racoleu- ses contemporaines : mon baby-blues, mon cancer, mon coma, mon divorce, mon ex-présidentiel, mon erreur judiciaire, mon voyage en vélo Paris Vézelay, mes aventures au Sofitel, mes amours et mes emmerdes, enfin tout ce qui fait que la vie à défaut d’être jolie, est banalement commune à chacun – à la vertu de plomber a priori la potentialité de mes enthousiasmes.

Il faut dire que passer chez Pivot ou s’affronter à Polac, d’Apostrophes à Droit de réponse, collait d’emblée au front du téméraire d’autres lauriers que ceux que vous décernent actuellement et a posteriori le fait de passer chez Ruquier, un marketing probablement incontournable, mais qui est néanmoins à la critique littéraire ce que les têtes de gondoles sont aux « cons sommés » par le pouvoir d’achat, fût-il culturel. Un clash qui fait le buzz sur la toile et l’affaire est généralement dans le sac.

Enfin, dernier élément qui perturbe la mise en bouche. Le charisme. En avoir ou pas. Ce langage muet du corps qui exprime l’intériorité de l’être, sa richesse et sa pauvreté. Celui-ci semble manquer d’appétit de vivre. Tout en aspérité, tout comme le ton de la voix. Des mots qui claquent et donnent l’impression d’un flot ininterrompu de sons cassants. Dogmatisme ? Certainement. Les éructations provocatrices de Bukowski, pour qui il valait mieux être un ivrogne célèbre qu’un alcoolique anonyme, m’incitaient plus à la lecture que le débraillé névrotique d’un Houellebecq. Tout comme j’éprouve quelque difficulté à prêter foi aux prescriptions télévisées d’un médecin prêchant contre l’obésité, le cholestérol ou le diabète, alors que l’exubérance boudinée de son physique est le vivant démenti de son propos.

Fourbie d’une prudente curiosité, j’ai donc lu le dernier opus de Christine Angot, La petite foule. Je dois reconnaître à certains écrivains qu’à défaut de style et de talent, ils ont celui d’abuser de la patience de leur lecteur. Arriver au Fluit final constitue une véritable prouesse, à moins d’être le signe d’un masochisme méritoire. De quoi déprimer en agoraphobie profonde ! On ne souhaite qu’une chose que cette foule reste ce qu’elle est, petite, très petite. Rarement, j’ai lu un bouquin qui en plus d’être remarquablement chiant, ne possède même pas une once d’intérêt, si ce n’est de dévoiler le manque d’empathie pathologique dont semble souffrir Christine Angot. Elle observe avec une minutie d’entomologiste une centaine de ses contemporains dont elle tire le portrait littéraire, en écho aux Caractères de La Bruyère. Passés au crible de poncifs éculés, souvent empreints d’un franc mépris misanthrope – du moins je trouve – son exercice frise la froide autopsie. Fastidieux, clinique, glacé comme la paillasse d’acier, dépourvu d’émotions et d’états d’âme. Le pire est que sous cette description nauséeuse de ses semblables, transperce un moralisme certain. On devine ce qui agace l’écrivain. La poisse de la réalité, étriquée dans ses médiocrités, dépourvue de cette créativité qui dresse entre son regard et ceux qu’elle observe, une invisible frontière. Et tels ces technocrates amidonnés qui nous gouvernent, elle aussi la contemple à travers le prisme de ses élucubrations intellos.   

Je ne pouvais m’empêcher de chercher dans ce texte sans envergure les mots dont elle parlait sur ce plateau de télé, ceux qu’elle revendique comme signature de la spécificité Angot. Ces mots – dit-elle – qu’elle cherche, prend, écarte, pèse et soupèse, dépose, reprend, répète sciemment et fige après des heures dans des phrases qui n’en finissent plus et où on s’enlise d’ennui. Un labeur harassant, insiste-t-elle. Et je songeais à cette coiffeuse ou encore à la femme de l’usine, à leur fatigue si ordinaire, à tous ces gens avec qui Christine Angot croit intimer pour les avoir simplement croisés, à tous ces gens qu’elle travestit de ses propres préjugés. Non décidément, comme le dit la pub, nous n’aimons certainement pas, elle et moi, les mêmes rillettes.

Même pas en ce qui concerne les oiseaux, ou plus exactement L’oiseau, ultime texte bucolique qui clôt cette parade humaine, histoire de nous faire comprendre qu’il y a autre chose sous le soleil que nos dérisoires carcasses. J’imaginais notre héroïne écrivaine, assise au pied d’un arbre, enregistrant pépiements et cris, sans réellement les écouter puisque songeant déjà à l’exploitation littérale de cette matière première. Je la voyais penchée à sa table de travail, plongée dans une angoissante perplexité pour trouver la trille juste, pour finalement nous écrire ceci : Vous voulez l’imiter le mieux possible. Vous écoutez. Vous faites le trille. Fluit. Fluit Fluit. Vous vous exercez. Fluit. Puis : Flouou, flououhou, flou, flouhou. Wou wou ; wou wou ; wou wou. Hohu-hi, hohu-hui. Ttt, ttt, ttt. Tda tda. Fluit.

Je vous jure si les oiseaux savaient lire, je suis certaine qu’ils s’égosilleraient de rire le bec. Même leurs plumes ne feraient pas pire.

 

© L’Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott  – 21/04/2014
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La petite Foule, Christine Angot
Éditions Flammarion, 03/2014
ISBN : 2081289164

 

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