Où t’es, papa où t’es ? – Marc Lavoine, Gérard Darmon

Si l’on s’en tient aux bouquins les plus vendus, l’édition actuelle semble se transmuter peu à peu en une boutique d’apothicaire et en confessionnal public de tous nos maux, réels ou imaginés, la plupart des livres recensés comme les plus lus se réduisant à des manuels indigestes de leçons de savoir survivre et renaître à toutes ces galères qui nous pourrissent le bonheur tranquille quand les vents de l’adversité font chavirer nos embarcations à crédit. Entre le manuel Mercks et le DRM, toute notre intimité pathologique contemporaine se vautre dans les têtes de gondole : mon cancer, mon diabète, mon AVC, ma prostate, mon coma, ma grossesse, mon accouchement, ou l’Alzheimer de l’un de mes proches – qui suit doctement la prescription du politiquement correct, car enfin ma chaude pisse ou ma syphilis n’ont jamais fait le bandeau d’un quelconque best seller, fut-il signé par un nom ayant pignon sur rue.

A cette liste inénarrable qui ne fait point rougir de honte nos indignations ponctuelles et virtuellement virales pour tous ceux qui ont vraiment les jours cintrés et la Grande Faucheuse en plan Vigipirate, s’ajoute toute la palette des traumas psychologiques, souvent à caractère sexuel – mon inceste, mon harcèlement, mon viol, mon compagnon pervers narcissique, ma sexualité en rade, sous Viagra ou en pleine forme à soixante-dix piges – ou encore reproductif – mon baby blues, ma FIV, mon enfant adopté ou livré tout chaud d’un ventre loué, sans parler de la pléthore de livres qui nous jurent qu’en trois coups de cuillère à pot, on peut redevenir mince, jeune et beau ou se convertir en millionnaire d’une start-up, voire en un écrivain chevronné !

Viennent ensuite toutes les nuances du spleen, entre le mal de vivre, cris et chuchotements à l’Elysée, la drogue, mon frère et moi – prochain vibrato médiatico-littéraire -, mon ado ingérable, mon burn out, ma dépression, ma tentative de suicide jusqu’à mon aller et retour depuis la sérénité amoureuse de l’au-delà. Bref le fameux « Allo non, mais allo quoi  » nabilesque ayant assassiné le ridicule, quelconque impudeur fait le buzz, tel le dernier selfie-fesse qui consiste à montrer son cul sur la toile. Et tout ce qui porte un nom, même le plus petit, tout ce qui fait et défait l’actu people comme nous le bafouillent nos médias, se jette à aveux perdus dans la révélation publique de leurs secrets.

C’est ainsi que l’on a vu fleurir dernièrement, la mort du père ayant fait son œuvre cathartique de décantage, une série d’hommages aux paternels disparus et jusque là anonymes, présentés comme une thérapie nécessaire par leurs fils devenus célèbres. La mère, comme d’habitude, on s’en fout. La méconnaissant en tant que femme, souvent la question ne se pose même pas. On en garde un souvenir culinaire ému, émaillé de migraines et de silences réprobateurs, son sacrifice obligé n’exigeant d’autre épitaphe que celui d’avoir été une emmerdeuse, une femme délaissée à mille lieux de ce père admiré à qui la mémoire des fils retaille un costume de héros ordinaire.

Les défauts se font qualité. Cavaleur, menteur, tricheur, escamoteur, beau parleur, égoïste, insouciant, aimant l’alcool et les fêtes entre potes, qu’importe ! Leur manque se pare de l’absence justifiée par leur vie cloisonnée. Ce furent des hommes, que diable ! Des vrais ! Cette virilité nostalgique valait bien quelques passe-droits. Le devoir de mémoire va de pair avec le pardon. C’est la norme actuelle de blanchiment de tous nos égarements. C’est ainsi que Lulu, père de Marc Lavoine dans L’homme qui ment et Henri Messaoud dans Sur la vie de mon père de Gérard Darmon effacent de leur ardoise ce qu’ils n’ont pas fait, parce qu’ils ne savaient pas comment le faire ou le dire. L’homme qui ment et Une vie sans mon pèreUne biographie reconstituée, deux titres qui répondent subtilement à l’interrogation douloureuse de leurs fils, qui es-tu papa ?

Car enfin, comment respecter ce père, ce Lulu, qui pantalons baissés et sexe plongé dans celui d’une camarade du Parti, convie son jeune fils à la duplicité adultère du « radada » et le promeut confident obligé de son gourbi sexuel ? Certes il y eut des compensations magnifiques à cet exhibitionnisme priapique paternel, mais certainement similaires à celles qui ont structuré la vie de la plupart d’entre nous. « Ce récit, nous prévient Marc Lavoine, est basé sur une histoire fausse ». A quoi rime alors dire pour ne pas dire ? « La vérité est si précieuse qu’elle doit toujours être protégée par un rempart de mensonges. », affirma Churchill. Pourquoi alors exiger de ce père disparu plus de sincérité manifeste que l’auteur, fut-il son fils, veut bien lui concéder?

Comment cerner cet autre père, celui de Gérard Darmon, un homme aux multiples casquettes (spahi, gigolo, proxénète, truand, résistant, marchand de vin) et personnalités, de Riquet de la Bastille à Trompe-la-Mort, en passant par Henri Messaoud, ce « père par intervalle », ce compagnon médiocre par désamour calculé, cet homme mutique au sang chaud pour qui, nous dit Gérard Darmon, « la  paternité était en hoquets, un déséquilibre » ?

Et chacun de battre sa coulpe d’intimité, entre enfance gâchée et vieillesse qui s’avance, cherchant à mots rompus et avec parfois du talent, la reconnaissance officialisée de leur géniteur via une autobiographie, maquillée en sépulture littéraire. Tout le monde a une histoire à sublimer à partir d’un gâchis ordinaire et anonyme. La même histoire écrite, et sans nul doute aussi bien sinon mieux, par un quelconque Monsieur Durand, n’aurait certainement pas fait vibrer les chœurs médiatiques ni exploser les ventes. Quand un exercice de thérapie devient spectateur de lui-même, il sombre souvent dans la vulgarisation la plus banale, à tel point qu’une lectrice enthousiaste ose cette formule pathétique à propos de Marc Lavoine : de star, il devient un homme.

Si je dois dire un truc sympa, j’ai préféré de loin le bouquin de Gérard Darmon, mais il est vrai que j’aime cette tendresse irrévérencieuse dont il semble pétri.

© L’Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott  – 13/05/2015
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2 Comments

  1. Article que j’ai trouvé très pertinent, il faut le dire, en partie parce que je partage complètement ces quelques avis selon lesquels la thérapie d’un anonyme aurait moins défoulé les passions. Mais aussi et surtout que beaucoup ne savent plus faire autrement que de se mettre en scène pour attirer le regard. Et trouver l’histoire la plus abracadabrantesque, triste, horrible qui soit « bankable »…

    Quand le soufflé retombe, quel sentiment de solitude doit les envahir, à nouveau…

    D’ailleurs, je crois bien que j’exècre de plus en plus les livres, ou quatrième de couverture, arborant fièrement un « Basé sur une histoire vraie » et tout autre synonyme. Comme si cela pouvait dispenser d’avoir une belle plume, ou de quelque chose à raconter. De la même façon que ce « Ceci est une histoire fausse, ce n’est pas mon histoire », dans ce cas-là, tais-toi. Laisse la magie opérer plutôt que d’insinuer un doute dans la tête du lecteur. « Il dit ça, mais en fait je suis sûr(e) qu’il parle de lui ».

    Une véritable course au sensationnel. Sans arrêt.
    Ton article ne l’est pas, mais il est de qualité.

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