Mourir… La belle affaire !

N’étant pas une célébrité, je ne serais ni terrassé ni emporté. Je ne m’éteindrais pas non plus comme une étoile. Non, simplement un jour, une nuit, je vais tirer ma révérence. Sans bruit, je vais canner, calancher, clamser, à moins que bouffé de douleurs, je ne dépérisse avant de périr et ne me fane maladivement avant de trépasser. Bref, un jour, une nuit, je vais claboter. Un beau mot pour mourir, non ? Le dernier souffle qui s’exhale, s’envolera d’une bulle baveuse de mes lèvres fripées avant de m’emmener ad patres. Mais avant de casser ma pipe, moi qui n’aie jamais taffé, pas plus peut-être que certains Grognards qui la mordaient bravement avant de passer l’arme à gauche et de laisser guêtres et houseaux au bloc opératoire, il me faudra déchirer mon tablier, faire ma valise et plier enfin soigneusement bagage. C’est que rendre son âme à Dieu, prêteur sur gages de nos existences, demande quelques menus travaux de bricolage. Ne lésinons point sur d’ultimes exercices ! Après avoir soigneusement fermé mon vasistas, je déboulonnerais ma colonne et dans un dernier effort, je démonterais mon choubersky, ce poêle en fonte dont je me demande bien ce qu’il vient faire dans ce sépulcre. D’autres, des rabougris du cœur, de ceux qui en bas m’ont toujours filé l’envie de les refroidir et que là-haut, je m’efforcerais de ne pas dégommer d’un coup d’aile, se contenteront de rendre simplement leur chaufferette ou de renverser d’un coup de pied frustré, leur marmite. Mais moi qui fut un diable d’homme, ne dédaignant ni la bouillarde ni la ribote, lorsqu’il me faudra baiser la Camarde en me souvenant ému des femmes honnêtes et des sauterelles d’édredon avec qui j’ai marié huile et feu, je devrais néanmoins comme n’importe qui dévisser mon billard et en ranger la queue. Finie la fête ! Plus d’huile dans ma lampe… Ainsi, après avoir mis volets à ma boutique, je ramasserais mes outils et d’un geste las, rendrais mes clefs sans omettre de remercier mon boulanger et mon boucher.

Cuit, fricassé, frit, fumé et rincé, claqué sans n’être plus jamais fatigué, mon compte sera finalement réglé par les livreurs de viande froide et les estafiers des pompes funèbres. Ceux-ci, après m’avoir lavé, déshabillé, secoué et mesuré, me coucheront tel un pierrot triste dans une boîte à dominos, un paletot sans manche offert par la Maison Borniol, une ardoise salée pour les vivants. Fin prêt pour me rendre au royaume des taupes, mes compères de ripaille tenant les cordons du poêle, on ira au cimetière et là, on se recueillera devant mon blaze. La tristesse nous rongera les tripes… Oh, non parce que je n’aurais plus de gaz dans mon compteur, mais parce que, pour n’avoir plus jamais mal aux dents, je n’aurais d’autre choix que de manger des pissenlits ou de fumer les mauves par la racine, me convertissant ainsi à mon grand déshonneur, en un légumiste pour l’éternité.

©  Mélanie Talcott  – L’Ombre du Regard – 21/05/2015
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