Des armes et des mots c’est pareil, ça tue pareil…

Ainsi, pour gouverner le peuple,
Le sage vide les consciences mais emplit les ventres
Affaiblit les volontés mais fortifie les os
.
Si le peuple ne craint plus le pouvoir
C’est qu’un pouvoir plus grand approche.

Lao Tseu – Tao Te king

 

La politique, ou plutôt ceux qui pré- tendent nous la décliner avant de nous l’imposer, scellée du sceau de nos choix électoraux, ne m’intéresse pas. Pourquoi ? Parce qu’une fois le rideau de l’effervescence séductrice retombé, ces mêmes politiciens vont tous rendre des comptes et prendre des ordres auprès des mêmes banquiers, certains coachés en loucedé par des hommes peu reluisants dont les pays placent sur l’échiquier mondial, les billes de leurs propres intérêts. Depuis des lustres, ils se répartissent le même gâteau, luttent tour à tour pour en avoir la meilleure part, écartent d’une guerre les mouches trop gourmandes, voire celles à qui ils sont par trop redevables, pactisent et s’entredéchirent pour tenir un instant entre leurs dents, la fève et le destin des peuples par qui, ils nous en convainquent, ils ont été choisis. Festin de homards et de coquelets dont les majordomes médiatiques, bâillonnés par des salaires mirobolants, se disputent les miettes, nous régurgitant le chyme de leurs digestions savantes et éclairées, la substantifique moelle comme le dirait François Rabelais. Las ! Nous sommes tant résignés à l’imposture que nous recevons tous ces baisers de Judas comme des accolades démocratiques. Mystification participative !

Les voici tous aujourd’hui dans les starting-blocks attendant que le peuple-starter tire un coup de feu en l’air. Le temps des bobards précède toujours une ère de sournoise duplicité. L’un, ayant pendant cinq ans patiemment serti ses amis riches d’écrins dorés, pataugeant fougueusement avec eux dans les mêmes jacuzzis de bulles clinquantes, se découvre une envergure de justicier masqué. Jouir de ces acquis et autres privilèges, ne serait-ce qu’au prétexte de la gouvernance, exige que le peuple conserve un minimum de santé. Un serf malade est un serf inutile. Il lui faut donc le convaincre qu’il est encore capable de garnir la peau de chagrin de ses désirs. L’autre, en jachère depuis de longues années, fleurant enfin l’opportunité de goûter au gâteau, monte au créneau avec des élans de redresseur de torts. Il ne craint pas, soucieux de l’empathie populaire, de lui promettre de grandes choses, oublieux sans doute par enthousiasme, de la peine qu’il y a souvent à les exécuter ensuite. Zorro contre Robin de Bois au combat revanchard, arbitré tantôt par un tribun truculent, digne émule de Cicéron1 qui en son temps, proclamait : « …Les finances publiques doivent être saines, le budget doit être équilibré, la dette publique doit être réduite, l’arrogance de l’administration doit être combattue et contrôlée, et l’aide aux pays étrangers doit être diminuée de peur que Rome ne tombe en faillite. La population doit encore apprendre à travailler au lieu de vivre de l’aide publique….. « , tantôt par les diatribes non moins talentueuses de son corollaire féminin où viennent s’achopper les propos tempérés de l’homme de la terre et du recours… Bref, chacun fait en sorte que les vaincus n’aient pas trop à rougir du vainqueur.

Les maux d’hier portant le péril de demain, les voilà, chacun à leur tour, nous haranguent à coups de pléonasmes, d’euphémismes et d’hyperboles : pour changer une société, commençons par en changer les mots, voire à en biffer définitivement certains de notre vocabulaire ou à les renvoyer à l’obscurantisme du tabou. Banni celui de l’austérité, mal vu celui de rigueur, il reste à en inventer un pour nommer un retour de croissance, même modeste où la récession n’a pas lieu d’être, puisque ce n’est qu’une absence momentanée de croissance. A la suppression, on préfère la réforme et à la grève, le mouvement social. Les vieux, après avoir été du troisième âge, sont des seniors, les aveugles des non-voyants, les sourds, des malentendants, les pauvres, des précaires et la banlieue, un quartier sensible peuplé de défavorisés. Nous ne sommes plus salariés, ni ouvriers, ni employés, sinon collaborateurs d’un projet d’entreprise et les licenciements collectifs ne sont plus que des plans sociaux et mieux encore, des plans de sauvegarde de l’emploi concoctés avec des partenaires. Le gel des salaires ne fait plus lever le blizzard dans les rues. Qui y descendrait pour protester contre une désinflation compétitive ? Décidément, les banderoles ne sont plus ce qu’elles étaient. De fait, on n’exprime plus son désaccord, on dérape.

Dans cette manifestation exubérante de rhétorique subliminale et jalonnée de mots interdits, les derniers à s’ajouter sur la liste du scrabble politique aiguisent les duels oratoires. Mots de feu où couvent toutes les braises de la démagogie. Encombrant celui d’immigration, remplacé par flux migratoire. De même à l’inégalité des chances a succédé la discrimination positive, bel oxymore visant une population-cible de citoyens « allochtones » – qui n’est pas originaire du pays où il habite –  que l’on doit insérer dans la société, insérer véhiculant en lui-même une image certaine d’étroitesse. Le débat fulmine les esprits d’autant plus que chaque mot en appelle un autre. A l’ordre des maux, le mot race doit être revu et corrigé, voire supprimé.

Si selon le Dictionnaire de la noblesse de France, rédigé en 1816 par Nicolas Viton de Saint Allais, il tire son étymologie du mot latin radix, racine, pour d’autres il apparaît à la Renaissance et provient du mot italien, rassa, famille, souche, attesté en 1180 avant d’apparaître en 1490 dans la langue française. Il désignait alors des bandes d’individus qui se sont concertés dans un certain but, complot ou conjuration.2 Au XVI° siècle, il servit d’abord à classifier les différentes variétés d’animaux et de plantes domestiquées, avant de s’étendre peu à peu à l’espèce humaine, composée alors de races hiérarchisées, dont certaines supérieures à d’autres, ce qui aboutira au massacre de celles jugées inférieures par les nazis. Au sortir de la seconde guerre mondiale, la biologie réfute la notion de race et ouvre le champ de l’anthropologie culturelle et de la génétique des populations qui démontre une profonde continuité entre les différents groupes humains. En 1992, la suppression du mot race de notre constitution fut amplement débattue, avant de tomber dans l’oubli, pour recouvrer aujourd’hui toute sa force, forgée par des circonstances électoralistes. Il faut déracialiser la société et tout le monde de s’engager verbalement afin que la race cesse d’être un concept castrateur pour les uns, libérateur pour les autres.

Soit ! Éliminons-le, changeons-le… Mais s’il suffisait de gommer les mots pour abjurer le pire dans l’être humain il y a longtemps qu’on le saurait ! La couleur de la peau, à l’instar de celle des yeux, ne sera jamais socialement invisible. Effacer le mot race n’enrayera pas le racisme, ce mal ordinaire planétarisé qui s’insinue dans tous les domaines, au privé comme au public, et déjà inhérent à la nature humaine bien avant l’invention des dictionnaires. L’Histoire nous l’enseigne : il nous a toujours été coutumier de brandir des fantoches et de chercher des boucs émissaires à qui l’on fait endosser tous nos manquements pour ne jamais aborder les problèmes profonds dont souffrent l’humanité en général, collectivement et individuellement

Zorro a été voté en 2007 à une majorité écrasante, telle que l’on ne l’avait pas vu depuis longtemps. On se demande bien aujourd’hui par qui ! Robin des Bois ou un autre le seront peut-être en 2012, mais ce qui est certain, c’est que l’équité a peu de probabilités de briller à nos firmaments, puisque nous-mêmes nous refusons de changer et continuons d’accorder béatement, en comptant les coups et les points, leur légitimité à tous ces clowns qui, malheureusement n’ont jamais possédé le talent de nous faire rire. Changeons les plats, remettons le couvert et passons à table ! Comme d’hab, le futur aura un goût amer. Bon appétit !

Des mots oui des mots comme le Nouveau Monde… […]…Des armes et des mots c’est pareil, ça tue pareil… Il faut tuer l’intelligence des mots anciens…Avec des mots tout relatifs, courbes, comme tu voudras…, comme le chantait Léo Ferré.

 Notes
1. – La République de Cicéron.
2. – Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du 9° au 15° siècle, Paris, Slatkine, 1982.

 

© L’Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott  – 14 mars 2012
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Publiée sur Culture chronique

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