Oui… Je sais ça fait chier…(I)

Le type ordinaire comme toi ou moi, un petit commerçant, un obscur fonctionnaire, un paysan, un flic, un ouvrier, et même un intello… Il se lève pour aller travailler, se débarbouille, noue machinalement sa cravate ou son turban, met sa kippa ou son panama en feutre, embrasse distraitement sa femme et ses mômes. Tu crois vraiment que les malheurs du monde le turlupinent ? Il y pense ni plus ni moins que toi ou moi. De quoi mesurer notre minceur de pensée commune ! Mais oui, comme toi et moi, il rêve de la bagnole qu’il aimerait acheter, de la maison qu’il voudrait se faire construire, des vacances de rêve qu’il aimerait prendre ou de gagner au loto. Il songe à ses gosses, au petit dernier qui fait des conneries, à comment payer les études à ses aînés, à son chef qui va lui pourrir la journée, à sa femme qu’il va baiser ce soir. Et c’est ainsi du pôle nord au pôle sud. Avec des variantes, je te l’accorde. Mais tout bascule quand les bombes se mettent à pulvériser tes jours, que les balles jouent au ping-pong avec ton destin ou les attentats s’amusent au bingo avec ta vie. Là, ça se met à résonner sec chez tout le monde.

La bonne question est très simple : en quoi ai-je participé à ce que la Syrie, la Palestine, le Yémen et tant d’autres continents, pays et peuples souffrent ? La réponse aussi est lumineuse. Parce que je suis entouré d’Ikea, parce que j’ai mis mes parents à l’asile de vieux, parce que je zappe sur mon smartphone, que Facebook est mon étoile, le pétrole mon carburant et mon pouvoir d’achat, mon assurance vie. Et en plus, cool, je suis international ! Mes meubles sont suédois, c’est un Black qui me les a livrés, mon smartphone dont certains composants sont africains, est fabriqué en Chine. Au fond, ça représente quoi Total ? Le confort et la sécurité que je ressens quand je mets en marche ma bagnole. Je ne me pose pas de question, du  genre d’où vient le pétrole ? J’ouvre mon frigo, j’ai l’électricité et l’eau courante. Je suis assuré : si je suis malade, il y a la sécurité sociale, la mutuelle. Petit à petit, je m’enfonce, j’oublie. Puisque je le paie, c’est normal. Paradoxalement, quelque part dans mon esprit, c’est aussi gratuit, puisque c’est normal. Là où je me goure grave est que cela ne l’a jamais été. Cela a un prix et il est énorme, sauf que c’est à des milliers de kilomètres qu’il se paie sur la peau des autres et sur notre planète qui en a perdu la boule. Les containers transportant des matériaux, le dernier Apple, des bagnoles, des denrées alimentaires et des produits chimiques, polluant nos mers avant de polluer nos têtes, nos âmes. C’est fun, c’est peace and love, c’est formidable ! Nous, en temps de paix, on a absolument envie d’avoir le dernier Samsung. Pourquoi le Marocain,  le Chinois, l’Indien, l’Africain ou le Syrien ne désirerait pas la même chose ? N’est-il pas conditionné de la même manière ? Bien sûr que si ! Les consommateurs pacifiques que nous sommes, représentent l’hégémonie la plus dévastatrice qui soit. Aucune conscience politique. On vote et on se persuade que cela n’a aucune conséquence. Nous sommes les vrais généraux de toutes ces guerres qui nous garantissent notre confort.
Oui… Je sais : ça fait chier …

© L’Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott  – 19/03/2019
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Illustration de Bansky

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