Penser l’Islam, Michel Onfray

Le réel n’a pas eu lieu

Pour un esprit curieux, attentif aux courants de pensée qui agitent notre soi-disant modernité, on ne peut plus faire abstraction de ce que nous en expliquent nos intellectuels en charentaises, tant ils envahissent la sphère publique. Leur vocation, n’est-elle pas selon Michel Onfray, de nous mâcher le travail et de penser en notre lieu et place, la plupart d’entre nous étant formatés, à peine délivrés du berceau à avoir les neurones tressés sur un mode linéaire qui nous enferme inexorablement, nous autres les incultes, à devenir des pousseurs de caddies, abêtis jusqu’à la moelle par les médias. Reconnaissons-le, elles éteignent de leur médiocrité la moindre velléité de désirer savoir et comprendre ! Notre philosophe « marchand », malheureusement devenu un smiley labellisé, remarque également, et c’est indéniablement aussi juste que certain, que l’ignorance se résorbe par la Connaissance, celle qui permet de se libérer.

J’ai donc lu avec attention Penser l’Islam de Michel Onfray. Je dois dire que le titre a soulevé en moi quelque réticence ironique. Un peu racoleur, non, dans ces temps mouvementés où tout ce qui nous éloigne intellectuellement de cette religion nous en rapproche également émotionnellement dans le rejet et la peur qu’elle suscite ? Est-ce bien à nous, Occidentaux bellicistes, de penser l’Islam et d’en décrypter par un regard neuf les tenants et les aboutissants actuels ? Deux poids une mesure ? Ou faut-il rayer de nos mémoires tous ces génocides (Arménie, Cambodge, ex-Yougoslavie, Rwanda), relativement récents, qui ne furent pas commis au nom d’une quelconque religion, mais où néanmoins gisait le sang des peuples unis dans la même barbarie ? Sans évoquer ceux perpétrés au nom du Dieu chrétien, et d’autres qui se perpétuent encore sous le faix des Évangélistes, notamment anglo-saxons, Opus Dei, Légionnaires du Christ et un grand etc. , qui sous tend toute la politique hégémonique de l’Occident ! Mais nous, il est vrai, on se qualifie de conquérants, de pacificateurs ou de résistants. Daesh & Co sont, n’en déplaise à ceux qui se gardent bien de l’admettre, la création de la prépotence occidentale. Devraient-ils en réponse à nos bombes brandir des roses rouges ? On les prend pour des clowns sanguinaires et cruels, et ils le sont sans aucun doute, mais cela nous fait oublier trop facilement que leurs cadres ont une stratégie, de l’argent, des armes, de l’éducation, des moyens informatiques et surtout une vision à long terme, récupérer le Califat.

Depuis bien des siècles, et non quelques décennies comme le dit Onfray, l’Occident, qui faut-il le rappeler, fomenta une pléthore de guerres qui se soldèrent par le découpage arbitraire et à son profit, d’empires et de nations, a suscité en retour autant une fascination morbide comme une jalousie haineuse de la part des peuples qu’il a asservi. Certes nous avons accueilli sous les ors de nos palais présidentiels la plupart des dictateurs avant de les expulser manu militari des leurs, au nom très putassier de l’ingérence l’humanitaire et de la démocratie dévoyée en dictocratie, toutes deux brandies comme un blanc-seing occulte de nos intérêts, entre autres, économiques. En contrepartie, ces chefs de tribus ne dédaignèrent pas les échanges stratégiques, politiques et économiques que leur permettait cette soumission obséquieuse et tronquée envers l’Occident. Preuves en sont actuellement le Qatar ou l’Arabie Saoudite. Une guerre affichée ou non se fait toujours à plusieurs bandes, au sens propre et figuré.

Nous voilà donc dans une gabegie totale, » rythmée à la fois par l’incapacité de nos gouvernements, de gauche, de droite et des extrêmes, à réagir non seulement à cette situation à laquelle ils ont œuvré mais aussi à la menace aléatoire d’attentats planétaires commis par des personnes qui se réclament d’un Islam intégriste dont le paradigme est l’application stricte de la Charia. Il nous faut donc repenser l’Islam, nous dit Onfray, afin d’en acquérir une « compréhension républicaine » et pour ce faire, il nous invite à créer « des lieux de lecture laïcs, autrement dit non religieux, non conventionnels, pour lire le Coran en philosophie, autrement dit en amoureux de la sagesse.  »

Une fois de plus, force nous est faite, de nous plier à cet exercice hypocrite de voltige intellectuelle inversée, sans nul doute aussi instructif que thérapeutique, tant pour affiner notre connaissance plutôt maigrichonne de l’Islam que pour apaiser la peur que nous en avons. Néanmoins, il a fort peu de probabilités d’assainir une situation fort compliquée où comme de coutume, certains cherchent à tirer opportunément leur épingle du jeu, misant sur les prochaines élections présidentielles ou le business. En témoigne la soudaine ferveur des grands couturiers pour célébrer la femme en la voilant chic. Viendrait-il à l’esprit d’Onfray ou à celui d’autres intellectuels, prompts à titiller l’audience publique, d’imaginer des lieux de lecture laïcs et un public multiconfessionnel pour débattre sereinement de l’Ancien et du Nouveau Testament, afin de repenser le christianisme et de lutter contre ses intégrismes souterrains  dont ils se gardent bien de parler ? Ces intégrismes, incarnés par l’internationale de la droite et l’extrême droite chrétienne, constituent un danger majeur de déstabilisation dans nos sociétés, suivi de près par le collectif des Bisounours tel que Martin Luther King le définissait : «  Ce qui m’effraie, ce n’est pas l’oppression des méchants, mais l’indifférence des bons.  »

Onfray se prête volontairement au jeu de Penser l’Islam sous une forme quelque peu surprenante de questions réponses. Pour ce faire, il a étudié et décortiqué, comme il ne rate pas une occasion de nous l’asséner, « le Coran, examiné les hadiths et croisé le tout avec des biographies du Prophète pour montrer qu’il existe dans ce corpus matière au pire et au meilleur », comme si l’Islam ne se définissait que par le Coran et les hadiths, observation qui malheureusement n’est pas propre à ce livre sacré. Il n’y a pas un seul Islam comme il n’ y a ni un seul christianisme, ni un seul judaïsme.

S’ improvisant érudit en la matière, tout le monde ne pouvant être Maxime Rodinson – qui doit se retourner dans sa tombe – d’un claquement de bouquins, Michel Onfray épingle en les opposant les Sourates « moins nombreuses, mais elle existent aussi », qui « invitent à l’amour, à la miséricorde, au refus de la contrainte. » à celles, plus nombreuses, qui « légitiment les actions violentes au nom de l’Islam » : « Exterminez les incrédules jusqu’au dernier », « Frappez-les sur leurs cous, frappez-les aux jointures », « Ce n’est pas vous qui les avez tués, mais Dieu les a tué », « Combattez jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de sédition », « Ô Prophète encourage les croyants au combat ». Sans toujours replacer son exégèse coranique et dans le contexte historique et dans le texte lui-même, il condamne à juste titre cette violence, omettant le fait qu’on la retrouve dans les textes fondateurs du judaïsme et dans notre Ancien Testament. Quelques exemples : nombreux furent ceux qui périrent au nom de Dieu 50700 hommes de Beth-Sernes(Samuel 6 ;19) – 24000 autres idolâtres d’un Dieu qui n’était pas le bon(Numéro25 :9) – 185000 Assyriens,(II Rois, 19 :35) Rien ne fut épargné à l’homme qui ne l’adorait point. Pas même le cannibalisme familial ou l’émasculation.(Dte 28,5-57; Ezequiel 5,10; 2 Ry. 6,28-29; Lam. 4,10) Liste interminable dont on ne peut que saluer l’insatiabilité créatrice qui renvoie somme toute à certains passages du Coran.

Et Michel Onfray d’en conclure que «  l’on peut se réclamer des unes et des autres (des sourates belliqueuses ou pacifistes). On obtiendra dès lors deux façons d’être musulman. Deux façons contradictoires même. » « Islam de guerre, d’intolérance et de haine » contre « une religion de paix, de tolérance et d’amour ». L’ensemble de Penser l’Islam n’en finit pas de délayer ce discours, de redites en redondances, sans donner vraiment de nouvelles pistes si ce n’est qu’il faut « promouvoir un islam républicain qui s’appuie sur les sourates pacifiques », ce qui ne veut strictement rien dire, et en conséquence, « former les imams et lutter contre ceux qui ne croient qu’aux sourates belliqueuses. » Finalement, il ne s’agit que de Penser l’Islam suivant le modus vivendi Onfray, en s’appuyant également sur ses convictions quant à la gauche, la laïcité, la France ou le terrorisme, sans oublier ses règlements de compte personnels dont il émaille l’ouvrage.

J’ai eu quelque difficulté à ne pas m’agacer de ce brain washing dangereux, et je le dis d’autant plus sympathiquement que j’ai lu la plupart des livres de Michel Onfray sans éprouver ce sentiment de vacuité. Quand on a lu, entre autres, Ibn Arabi, Soharavardi, Maxime Rodinson, Jacques Berque, Henri Corbin ou Bernard Lewis, on ne peut que sourire lorsque parlant de l’Islam spirituel, Onfray donne au soufisme une origine irakienne ! Dois-je lui rappeler que bien des orientalistes, des historiens du soufisme, voire des soufis eux-mêmes, lui prêtent une origine préislamique ou indéfinie ?

Finalement et pour reprendre la formule favorite de notre charismatique philosophe, dans Penser l’Islam, « le réel n’a pas eu lieu », mais bien des Musulmans à lire cet ouvrage doivent rire jaune. Onfray n’a pas échappé au drame des fondamentalistes dénoncé déjà par Philon d’Alexandrie, à savoir que « pour trop s’arrêter à la lettre et à l’histoire, ils s’y sont enfermés et veulent y enfermer les autres. »1 Lui qui se targue de travailler ses sujets comme un besogneux, devrait fuir le bricolage drive.

 

© L’Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott  – 11 avril 2016
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Notes
1. – Prendre soin de l’autre, Philon et les Thérapeutes d’Alexandrie, Jean Yves Leloup, Albin Michel.

 

Penser l’Islam, Michel Onfray
Editions Grasset, 2016

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