Oui… Je sais, ça fait chier…(8)

Être gouverné, c’est être, à chaque opération, à chaque transaction, à chaque mouvement, noté,
enregistré, recensé, tarifé, timbré, toisé, coté, cotisé , patenté, licencié, autorisé, apostillé,
admonesté, empêché, réformé, redressé, corrigé.
Pierre-Joseph Proudhon, Idée générale de la Révolution au 19e siècle, Garnier frères, Paris, 1851.

 

Nous vivons dans un pays chimérique. Du grand guignol. Il cause, on écoute… Débat national en lice ! Monologue de mal entendant et dialogue de muets.

Notre gouvernement nous concocte une réforme des retraites sur laquelle ses énarques et consorts planchent depuis septembre 2017. D’abord attendue pour mi-mai 2018, le projet de loi a été repoussé pour l’été 2020 pour une mise en place du régime en 2025. Résultats de cette effervescence neuronale ? Un grand flou, comme le reconnaissent nos élites zélotes. Juste des pistes sans aucun chiffrage patent. Discussions, négociations, claquage de portes… La roue tourne, le temps passe.

Qui dit réforme, dit changement. Oui… Je sais, ça fait chier.
Mais actuellement, personne, que ce soient les membres du gouvernement ou les citoyens, ne sait exactement de quoi il retourne, comme si cette réforme était fondée sur un écheveau de constatations qui déroule un interminable fil d’Ariane d’embrouilles discursives pour former finalement une pelote de solutions difficiles à démêler. Macron y tricote un verbiage entretenu avec un talent certain, d’autant plus que pauvres imbéciles que nous sommes, « nous ne comprenons pas tout », comme nous l’a gentiment signifié le ministre de l’éducation.

L’un après l’autre, nos coachs professoraux présidentiel et ministériels montent au créneau de nos cervelles décervelées avec pour mission de « recaler le sens, le pourquoi, le comment, les bons mots, la communication avec les éléments de langage. Bref, la bonne ligne, la bonne communication, le bon plan d’action.», un mantra « universalité, équité et responsabilité » et un but inavoué : que cette réforme comporte des mesures sociales, car « si nous voulons parler à l’électorat populaire, tenté par le vote RN, ce ne peut être que du sel. »

Travaux pratiques dirigés en coulisse pour une gestion du slogan de l’ère macroniste : « nous vous avons entendu », qui malheureusement ne résonnera jamais ni en paillardise ni en condescendance du non moins célèbre « je vous ai compris »

A l’Élysée, le jeudi 5 décembre est qualifié comme « un mur ». Et pour ne pas s’y casser la tête, il faut l’abattre. Castaner s’en charge déjà à coups de boutoir anxiogènes, nous mettant en garde contre les « casseurs des Gilets jaunes radicalisés s’en mêlent. Le risque de tensions est réel. On s’y prépare. » A coups de lacrymo, de grenades de désencerclement, de LBD et d’infiltrations ?  D’autant plus que, kéké dans l’âme, notre ministre de l’intérieur précise : « n‘intériorisez pas le fait que l’on reculera sur les retraites, ce ne sera pas le cas car cette réforme est juste. » On tient la barre, les mecs !

Oui… Je sais, ça fait chier ce combat avorté de têtes de mules « trop intelligents, trop subtils » contre têtes de pioches – les syndicats – et têtes de cons, nous autres.

Il n’empêche qu’il faut saluer le coup de poker en marche et reconnaître que cette confusion, savamment orchestrée médiatiquement, a engendré une amnésie collective, tout bénéfice pour le gouvernement, la réforme des retraites ayant évincé toutes les autres protestations légitimes d’un bon nombre de personnes dont l’objectif actuel n’est pas de savoir si elles pourront ou non passer leur retraite les doigts de pieds en éventail, mais comment conjuguer au présent l’indécence budgétaire de leur quotidien.

Tous unis donc pour ce « jeudi noir » derrière la convergence ubuesque d’un truc enrobé dans une novlangue étatique qui nous promet sans cesse des horizons apaisés et solidaires et dont d’un quinquennat à l’autre, on se refile de la patate chaude. La mise en coupe réglée ad vitam æternam de nos vieux jours.

Rayées donc des banderoles indignées les revendications des gilets jaunes, le mal être des personnels de santé, le ras-le-bol des pompiers, des policiers et des avocats, la colère des étudiants et des enseignants, le silence des paysans, la pauvreté de la plupart de nos anciens, les suicides par impuissance. La liste est longue !

Oubliée la grogne générale qui plonge ses racines non dans le futur présupposé d’un horizon post-électoral, mais dans un présent sans cesse raboté et liberticide où le pognon de dingue arrondit toujours les mêmes poches, entre politique et actionnaires, entre magouilles « on garde le cap » et pas touche à nos privilèges, tandis que les fins de mois de bon nombre d’entre nous se font, elles, les poches ! Faut pas pousser tout de même ! « Ce n’est pas la rue qui gouverne ! », se gausse Raffarin qui lui doit pourtant d’être là où il est.

Et pendant ce temps-là, depuis sa cellule de la prison de la Santé, Balkany rêve de se présenter aux prochaines élections municipales à Levallois-Perret.
Oui… Je sais, ça fait chier…

 

© L’Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott – 03/10/2019 .
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