Bonne….. AnnéeS

Sebastiao Salgado

Une année qui s’achève et une autre qui commence. Trois cent soixante cinq jours qui se ferment sur une nuit pour s’ouvrir de nouveau sur autant de jours… Porte intemporelle qui ne marque aucun passage et n’exige aucun rite initiatique, si ce n’est celui des agapes gastronomiques auxquelles se prêtent consentants autant nos esprits que nos systèmes digestifs. Funérailles et épousailles où le paganisme des festivités nous autorise à tous les excès et nous dédouane de leurs conséquences.

Une année qui s’achève est comme la plupart des livres que l’on ferme. Le souvenir qu’ils nous laissent est souvent brouillé, voire tellement chaotique que l’histoire qu’ils nous content, semble s’estomper dans un kaléidoscope d’images imprécises dont on ne retient que les titres qui font les manchettes médiatiques. Des incuries que l’on réitère avec la belle insouciance des êtres dits doués de raison. Et pour enfoncer le clou dans nos mémoires trouées, des rétrospectives des jours enfuis qui marquent les années qui s’additionnent. Les catastrophes y égrènent leur chapelet mortifère, laissant leurs victimes sur la grève de nos vœux pieux. Des célébrités disparaissent sous des hommages foireux et dithyrambiques tandis que d’autres naissent sous des applaudissements idolâtres qui secrètent déjà leur futur venin. Les élections s’y succèdent et se ressemblent. Les crises s’effeuillent, se déloquent de mea culpa et se rhabillent de mensonges et de défaites. Les révolutions explosent avant de perdre leurs pétales, se flétrir et de reprendre leur voie de silence, quand non de résignation et de soumission. Les guerres passent avec succès tous les checkpoints avec la mention : c’est bon, vous pouvez continuer. Le même océan de hausses et d’avantages revus à la baisse berce chaque nouvel an et les régimes s’affichent déjà diététiquement nôtres pour nous débarrasser de l’empreinte de nos débordements. Dans tous les pays, presque au même instant, une overdose identique et benoite d’événements revisités conforte nos réactions taiseuses.

Pourquoi plutôt que de fantasmer sur l’année nouvelle que l’on enveloppe d’une virginité éclatante de résolutions et de promesses dont on sait par avance que l’on ne les tiendra pas, ne pensons-nous jamais à fêter l’année qui s’en va pour tout ce qu’elle a donné à chacun d’entre nous en bonheurs comme en douleurs ? A ces nourritures invisibles qui nous structurent à l’intime, on préfère souvent illusoirement celles qui nos formatent au collectif et je ne suis pas certaine que l’on s’y sente moins désemparés et moins seuls. On twitte, on tchat, on clique, on SMS, on facebook, on podcast, on download, on share, on aime, on n’aime plus, on bavasse plutôt que l’on échange, on dénonce sans vergogne, on polémique grassement, on moralise vachard, on monte à tous les créneaux d’autant plus facilement que leur virtualité minimise grandement les risques. Et l’on partage – au sens de redonner ce que l’on a soi-même reçu – de moins en moins.

On zappe les années comme on zappe nos vies. Les questions insolubles le demeurent, parfois se compliquent de paniques en fourvoiements. La vie garde ses mystères et nous, nos impotences.

© L’Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott  – 30/12/2012
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