Female, Laure Lapègue

Female de Laure Lapègue nous dresse un portrait visionnaire et caricatural de ce qui nous pend au nez dans la société futuriste des années 2050, dans le cas peu probable néanmoins, où les femmes tiendraient le haut du pavé. Dans ce Bordeaux futuriste, chacune et chacun a sa place au cœur de nulle part. Par loi, grâce à la première dame, la parité est désormais en vigueur dans tous les domaines. Privés consécutivement de boulot, les femmes ayant accès désormais aux postes qui leur étaient jusqu’alors réservés, les hommes y sont symboliquement castrés, d’autant plus que le désir d’enfant tout comme la sexualité est assujetti au bon vouloir de celles qui ressemblent plus à des pétroleuses et des harangères qu’à des êtres douées de sensibilité. Pour beaucoup d’entre elles, par exemple, devenir mère empâte non seulement les corps, mais se révèle être un tue-rêve pour leur productivité carriériste et la mise en berne assurée d’une indépendance chèrement gagnée. La gestation par autrui est donc vivement conseillée et les mères-porteuses, issues pour la plupart des classes défavorisées, salariées à la tâche. La tendresse fuit l’acte amoureux qui se réduit à une consommation hormonale, avec en sus, la peur au ventre pour les mâles. Gare à celui qui s’écarte des nouvelles règles. La délation aidant, il a de fortes chances d’échouer dans une émission de télé-réalité grotesque où il sera publiquement acculé à faire amende honorable.

La mode est également à la burka civile : « cheveux courts, vêtements larges et chaussures plates » et les jeux de séduction entre partenaires du sexe opposé, une offense à la décence féministe, sauf le vendredi soir où sur ordre de la mairie de Bordeaux, on lâche la bride. Jour de gratuité pour les femmes, à « condition de se laisser offrir un verre par un homme… afin de favoriser les rencontres et la reprise d’une natalité en berne. Mais la plupart des femmes préféraient payer leurs verres ou simuler l’homosexualité pour pouvoir faire la fête tranquilles. » Rien de bien enthousiasmant ! Selon les codes de ce nouveau savoir-vivre féminin, l’héroïne de Female, Axel, appartient à la classe des losers. Elle a un mec qu’elle se refuse à dresser, des préoccupations de gagne-petit, garder son job, changer d’appartement, et tous deux désirent un enfant. Elle doute, s’interroge et assume mal ses ambiguïtés dont elle s’arrange quand les circonstances l’y obligent. La perte de son travail sera le facteur déclenchant d’un bouleversement qui la conduit peu à peu à devenir ce qu’elle ne désirait surtout pas être, du moins en apparence. Le manque d’argent, hier comme demain, justifie bien des trahisons. Celle d’Axel s’incarne dans Catherine, sa mante-religieuse de mère, riche et sûre d’elle-même, qui bien que féministe jusqu’au trognon depuis des lustres, ne voit pas de paradoxe dans le fait de jouer les gigolos maternels pour son bellâtre de fils qui, lui, s’en arrange fort bien, au détriment de sa fille qu’elle rejette. « Tu es intelligente, lui dit-elle. Tu sais dans quel monde nous vivons…[…]… Laissons donc aux hommes l’illusion qu’ils servent encore à quelque chose ! Laissons-leur le pouvoir d’apparat et prenons le vrai pouvoir. Celui qui fait de nous celles qui décident nos emplois, nos salaires, nos maris, nos femmes… et même nos amants. » Un prêté pour un rendu, Axel promet à sa mère contre son aide financière d’intégrer les JNTL, une association secrète qui oscille entre des Ninjas au gynécée et les Anges de Charlie. Pour sceller son initiation et son appartenance, Axel se rasera les cheveux. Joli symbole ambivalent ! Peu à peu, Axel découvrira l’étendue de la fraude de ces jeux de pouvoir où chacun est férocement manipulé avec ou sans son consentement, avant de manipuler à son tour. Au lecteur de découvrir si et comment Axel se sortira de ce nœud de vipères.

Female laisse au cœur une saveur amère et à l’esprit, toute l’ambiguïté de notre époque libérale et technophile, reflétée dans ce roman dont l’anticipitation est bigrement réelle. Ni guerre des sexes, ni guerre des genres. Juste une éventualité poussée dans un extrême peu enviable certes, mais bigrement endémique. De fait, si l’on en juge notre monde actuel où les droits des femmes se résument de plus en plus à des devoirs et où leur liberté se réduit comme une peau de chagrin dans laquelle les lois viennent se moucher, la femme est toujours le bien commun de l’homme. Parfois, l’on se plaît à imaginer une société où les femmes occuperaient les postes clé du pouvoir, croyant que leur féminité adoucirait les mœurs et que nous en serions tous plus heureux. Loin s’en faut… Car malheureusement en ce vingt et unième siècle perturbé, la féminité est en voie d’extinction dans le cœur de la plupart, femmes et hommes. Sa complète disparition est le véritable désastre écologique qui menace notre planète, mais on lui préfère des théories et des explications plus ou moins fumeuses, mais plus crédibles, voire plus convenantes.

Dans l’univers décalé de Female, le féminisme se traduit souvent par une lutte revancharde et exacerbée où la confusion des genres aboutit au renversement des rôles. Le féminin domine le masculin. L’homme est dépossédé de sa masculinité et la femme de sa féminité, bref célibataires de leur intériorité. Une société interlope de tapettes et de brutes joue alors aux dés et aux coups fourrés la monotonie terne de leur quotidien, quoique là encore les forces s’ajustent, encore et toujours, autour du fric. En avoir ou pas y trace les limites invisibles des ghettos où les individus survivent plus qu’ils ne vivent.

Laure Lapègue soulève l’apartheid invisible qui divise les êtres en féminin et masculin et les emprisonne dans une fonction sociale et sexuelle, renvoyant la bienveillance à une impossibilité normative. Mais il lui manque, pour casser les codes de ces personnages parfois archétypaux, et c’est sans doute cela qui m’a mis mal à l’aise à sa lecture de cette intrigue fort bien menée, cette perception essentielle de la féminité, à savoir un état méditatif qui ouvre l’être humain aux mystères de la vie et du monde qui l’entoure, afin d’accomplir> ce rôle que chacun et chacune doit avoir dans la vie, rôle qui n’est pas unipolaire, mais bipolaire, masculin et féminin tout à la fois, et n’a rien à voir avec le fait de posséder une paire d’ovaires ou de testicules.

 

© L’Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott –09/04/ 2017
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Quatrième de couverture
Bordeaux. 2052. Dans un monde où le féminisme est érigé en loi, les femmes continuent à faire face à des choix cornéliens pour assurer leur réussite. Axel, 31 ans n’échappe pas à la règle. Tiraillée entre les envies de son compagnon et les attentes de sa famille, la jeune femme décide de raser ses cheveux longs pour obtenir le poste qui lui permettra d’acquérir son indépendance. Mesure t-elle alors la portée de ce choix symbolique sur sa vie de couple et son destin de femme ?
Entre deux mots, entre deux sexes, entre deux mondes, FEMALE vous embarque dans un futur à la fois inquiétant et possible, une galerie de portraits où les genres s’affrontent, pour le meilleur et pour le pire …

Format papier et numérique

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