L’appel de Clara, Cécile Ducomte

Dormir, rêver peut-être1 C’est ce que nous espèrons tous au moment de nous abandonner entre les bras de Morphée. Rejoindre ce moment privilégié où le temps et l’espace se désorientent, vacillent et s’abolissent. Pousser la porte sur une autre dimension, laisser derrière nous la conscience de notre altérité, de ce moi si aboulique qu’il nous contraint sans cesse d’être autre que ce que nous sommes réellement. Malheureusement, la plupart d’entre nous souffre d’Alzheimer onirique. Au matin, on ne se souvient pas, ou peu, de cette traversée nocturne ou alors émaillée de ces pensées fuligineuses qui moulinent notre esprit au moment où le sommeil nous quitte dans les brumes du réveil. Et regret au cœur, on se lance à nouveau dans le labyrinthe de la vie.

Cécile Ducomte, belle personne et musicienne talentueuse, revient peut-être épuisée physiquement de ses explorations nocturnes, mais sûrement bouillonnante de toutes les sensations et émotions qu’elle a ressenti dans son exploration d’un univers qu’elle crée suivant ce qu’elle est intimement autant qu’il la chaperonne, puisque rêveuse lucide, elle a conscience qu’elle rêve. Rares sont les personnes qui naissent avec cette capacité, que l’on possède sans doute tous aux dires des neuroscientifiques, et nombreuses sont celles qui l’acquièrent par un apprentissage plus ou moins laborieux. Sans doute le secret d’un rêve lucide n’est que l’art du lâcher prise. Art que l’on a tant de mal à vivre dans ce réel que la brutalité humaine ancre dans une matérialité insupportable, à tel point qu’elle nous transforme en statues de sel. Et c’est avec générosité qu’elle nous invite à nous immerger dans l’un d’entre eux dans son livre, L’appel de Clara.

En août 2018, jour de l’Assomption – est-ce une coïncidence culturelle ? – Clara, guide et messagère de la Déesse Mère, embarque notre rêveuse à bord d’une fusée. Ses mains gantées et quelques repères mémoriels de sa vie terrestre lui confirment qu’elle est bien projetée dans un rêve lucide, en compagnie de six inconnus, appelés eux aussi à partager cette épopée énigmatique. S’ils ont tous en commun la date du 15 août et le fait de faire des rêves lucides où ils côtoient, entre autres, leurs ancêtres, chacun vient d’une époque (de 2018 à 2300) et de pays différents. Adèle, Simon et Cécile, les trois français, Alan l’Irlandais, Alioune « celui qui porte la flamme » en rwandais, Nirvelli, « l’enfant de l’eau » en navajo, et Bâo « précieux » en vietnamien, professent également chacun le même amour pour la Nature, qu’ils essaient de protéger contre l’incurie des hommes. Etres éveillées et connectés, ils se sentent néanmoins impuissants devant son ampleur inépuisable, et chacun à sa manière, par sa façon de vivre, en s’impliquant dans la protection du monde animal et végétal, tentent d’y remédier.

Si l’on est heureux, voire rassurés, d’apprendre que la terre tourne toujours sur elle-même à l’aube du vingt-quatrième siècle, on est aussi consternés de constater que, quelques trois siècles plus tard (2300), notre planète est toujours la proie des cycles de destruction-réparation, sous la houlette d’une majorité consumériste qui « la tête dans le mur », continue et refuse toujours d’admettre qu’elle en est le chef d’orchestre tragique, par facilité individuelle et soumission collective aux dirigeants politiques. Elle n’a toujours rien appris de ses erreurs et feint d’ignorer le désastre qui lui pend au nez. Maintenant. Demain. Malgré les innombrables catastrophes naturelles et leurs conséquences irrémédiables, malgré les avertissements et les exhortations de ces lanceurs d’alerte courageux et anonymes que les puissants de ce monde et une masse silencieuse et complice s’acharnent à faire taire par la menace et le mépris. Ces « passeurs de savoir », tels les sept protagonistes de L’appel de Clara, ont développé une conscience sensible et analytique du passé, sont capables de lire avec lucidité, leur présent afin d’y bâtir un avenir en phase avec leurs aspirations. Mais en 2018 comme en 2300, les enjeux semblent invariants.

Le monde qui s’offre à eux au cours de leur pérégrination initiatique, où les sens s’aiguisent et où surgit l’émerveillement, tient à la fois de l’imaginaire du Paradis Perdu, du conte fantastique, de la parabole et de la fable militante, un univers qui m’a fait penser à celui de Little Nemo2, ou du moins du souvenir que je garde de cette bande dessinée, publiée en 1905, qui a bercé mes endormissements d’enfant. On retrouve également l’allégorie de la caverne. Car au terme de leur périple, nichée au fond d’une grotte, une puissance invisible, la Déesse Mère, attend ces chercheurs de vérité. Aussi généreuse et protectrice que terriblement dangereuse, elle leur révèle, par la voix de sa messagère Clara, quelques secrets sur l’histoire de nos origines, avant de délivrer à chacun un message d’amour et d’encouragement. Son message ? Si aujourd’hui comme demain, l’Homme comprenait enfin que sa liberté est dans l’obéissance aux Lois Universelles inamovibles de la Nature, s’il comprenait que servir, c’est obéir avec bienveillance en premier lieu, à l’écosystème auquel il appartient, il n’en serait pas là. Elle leur explique en substance qu’Elle Est, que la Vie n’a pas besoin de l’humanité, qu’Elle s’organise sans la pensée rationnelle humaine. Que Tout vibre et émet. Tout ce qui est vivant, au visible comme à l’invisible, vérité incontournable qui relie tous les êtres vivants avec le Tout, les met en prise directe avec des mondes et des personnes qui au cours des siècles ont non seulement compris ces Lois fondamentales, mais ont aussi lutté, même au prix de leur vie, pour qu’elles soient respectées.

J’ignorais tout des rêves lucides avant de lire L’appel de Clara. Pour moi, il y avait les rêves, ceux où l’on se réveille en joie, ou en pleurant, ou en riant ou encore avec un sentiment d’étrangeté, les cauchemars et les rêves cartomanciens dits prémonitoires. Après cette lecture poétique et qui renvoie n’importe quel joint au ras des pâquerettes quant à son onirisme visuel (précisons : je ne fume pas, mais si, des cigarettes – attention coming out !), j’ai fouillé dans la virtualité de Google pour en savoir plus. Et j’ai découvert que les rêves lucides étaient devenus récemment très tendance. Les neurosciences leur ayant donné une légimité officielle, Papa Freud son aval psychanalytique, les bouquins la possibilité de leur vulgarisation et les coachs en tous genres l’ouverture sur le marketing d’apprentissage des techniques pour décoller chaque nuit, autant de fois qu’on le souhaite. C’est là où le mot lucide prend une nuance falsificatrice. De fait, les témoignages témoignant de ce qui est, beaucoup de rêves lucides ne semblent être qu’un arrangement ludique des fantasmes de chacun qui se déroulent suivant un scénario où les rêveurs usent d’un contrôle, conscient ou non, fort différent du lâcher prise auquel je me réfère. Bref, la plupart y réécrit le réel suivant la perception qu’elle en a, afin de rendre supportable ce qui le devient de moins en moins sur terre. Une fuite mensongère.

C’est justement le contraire qui m’a plu chez Cécile Ducomte. Le côté spontané de ses visions. Cette ouverture d’esprit liée à cette conscience transcendante que l’on est tous connectés, qu’on le croit ou non. Parce que chacun de nous est la représentation des Lois qui régissent l’univers, bien que l’Humain se pense au-dessus, perdant ainsi son libre-arbitre, le réduisant à une impuissance qui le fait tout accepter et se soumettre au pire. Pourtant, il suffirait de décrypter notre vie cellulaire pour comprendre ce que nous cherchons désespérément à l’extérieur. Alors oui, j’aime à croire que les rêves de Cécile sont des messages d’un Invisible qui est là et auquel nous sommes aveugles et sourds. Après, chacun en fait ce qu’il en veut.

Comme le dit joliment Douglas Jerrold3 : « Il y a deux sortes de lecteurs : ceux qui traversent les livres avec prudence et ceux qui, tout aussi prudemment, laissent les livres les traverser. »

 

© L’Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott – 22/08/2021.
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Notes
1.- Hamlet, III, 1, Shakespeare
2. – Little Nemo :
3. – Douglas Jerrold (1803-1857). dramaturge, journaliste et humoriste anglais. Jerrold a connu le succès au théâtre avec Il connut le succès avec son mélodrame Suzanne à l’œil noir (1829), tandis que Mrs. Caudle’s Curtain Lectures (1845) est resté un classique de l’humour anglais (1845) pour le magazine Punch, auquel il collaborait régulièrement. Journaliste prolifiqu , il a écrit beaucoup de choses amères et personnelles, en contraste frappant avec le génie de ses Curtain Lectures », qui ont paru sous forme de livre (1846) et ont été régulièrement réimprimés.
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Présentation de l’auteur
Cécile Ducomte habite à Albi, dans le Tarn. Âgée de 42 ans, elle est professeur de musique (enseignement de la flûte traversière, du piano, intervenante musicale dans les écoles et concertiste). La musique est sa passion et son métier, dans lequel elle trouve un épanouissement certain depuis plus de 20 ans.
Maman de trois enfants de 19 ans, 14 ans et 7 ans, elle fait depuis toujours des rêves précis qui parfois l’interpellent ou l’impressionnent. Hypersensible, rêveuse, artiste et atypique seraient les termes qui la caractériseraient le mieux. Ses rêves répondent souvent à des questionnements existentiels, car depuis toujours, elle a besoin de comprendre les choses de l’intérieur pour les accepter sans les juger. Certains de ces rêves sont appelés « lucides », « éveillés ».
Dans ses rêves, elle communique avec les animaux, les plantes, des inconnus venant de pays parfois lointains, et avec des esprits. Elle apprend des choses, écoute, s’imprègne. Elle communique souvent ainsi avec des personnes qui lui sont proches et qui peuvent être, pour certaines, décédées.

 L’appel de Clara – Cécile Ducomte
JDH éditions

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1 Comments

  1. Je ne sais comment te remercier, Mélanie, pour cette chronique inspirée et inspirante. Je suis émue et secouée dans mon âme. Cet appel a résonné en toi. Je précise que ces rêves spéciaux, lucides, sont différents des rêves que nous pouvons faire (moi la première) chaque nuit. Ceux-ci sont souvent porteurs de messages, mais qui s’adressent souvent au rêveur lui-même, à son cheminement, à sa vie, ses espoirs, angoisses comme joies. La portée de mes rêves lucides est immédiatement différente. Il ne s’agit pas de « moi » mais de « nous ». Il ne s’agit pas de ma vie, mais d’un voyage plein de surprises et d’une dose de magie, d’imprévu, de lâcher-prise, un enseignement. Ils sont bien plus rares. J’en fais un par an environ. Alors que les rêves plus banals, j’en fais chaque nuit.
    Merci du fond du coeur.
    Cécile

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