Les émigrés, Elen Brig Koridwen

1913… La pacification du Maroc, entreprise par Lyautey, s’effiloche en escarmouches meurtrières dans le rif marocain.

Ainsi débute sur de très belles pages Les émigrés d‘Elen Brig Koridwen, auteur atypique et prolixe qui, depuis des années, aiguise sa plume en la trempant dans quasi tous les genres littéraires : récits courts et nouvelles livrés sous forme d’apéribook, saga, romances, science fiction, polar et roman, historique ou non.

Il est donc des terres étrangères à votre alphabet qui vous rentrent dans la peau à votre insu. Il suffit d’un moment d’inadvertance, d’une silhouette qui danse dans les brumes mouvantes de chaleur, d’un parfum qui chasse la puanteur ou d’un sourire de connivence. Pour Eugène Lebureau le Roumi, ce fut le « Trad djoun, la poussière des démons » où « le soir, dansent des volutes de sable fou ». Désormais, parole de marabout, son destin est scellé, il sera un émigré de cœur et un apatride comme le prévient son ami Ahmed : « ici tu seras toujours un nosrani (un chrétien) et dans ton pays, tu ne seras plus un Français. Mais on ne peut pas être ceci et cela, moitié chèvre et moitié brebis : le froid habitera ton cœur. »

L’amour que le jeune homme porte au Maroc suffira-t-il à combler tous ses attentes, d’autant plus que le colonialisme et sa cohorte d’expatriés racistes « exaspèrent une population déjà hostile aux Chrétiens », à qui ils sont bien décidés néanmoins d’imposer, de gré ou de force, le progrès occidental, et bien évidemment d’y faire fortune ? Dans sa Charente natale, l’attend sa payse, Aline. Prisonnière du carcan social auquel la femme est soumise, entre maternité et corvées domestiques, elle souscrit pleinement à ce que lui propose son promis : « se mêler aux indigènes, partager leur mode de vie. » et « la liberté d’être différents ». En route donc pour le Maroc.

Habilement amené par l’auteur, « le froid », le fil rouge d’Ariane du récit, prophétie en germination, promet une aventure hors du commun.

Mais hélas, il ne suffit pas de quitter son pays pour devenir autre. Comme beaucoup de voyageurs, de migrants, d’exilés et dans ce cas, de colons plutôt qu’à proprement parler d’émigrés, Eugène et Aline changent de décor, mais restent ce qu’ils sont. Eugène est un homme étriqué dont le but est de jouir d’un statut social meilleur que celui qui l’attendait à son retour en France. Ici il sera riche négociant, là-bas, il aurait été maçon dans l’entreprise familiale. Aline est une jeune femme fantasque et passionnée qui se contente de se nourrir de rêves. Bien qu’elle rencontrera son âme sœur en la personne de Vincent La Barre, bel homme à la séduction ténébreuse tant par son physique que sa vie, – personnage cliché de tous les romans d’aventure, notamment dans la littérature des années 301 -, elle choisira la sécurité pépère plutôt que de prendre le risque d’écouter ce que lui dicte son instinct. La promesse d’être différent restera, autant pour Eugène que pour Aline, lettre morte. Une maison, des enfants, la routine suffisent à émousser la curiosité et la passion. L’aventure restera superficielle et sans frisson. Leur terre d’accueil, le Maroc, ne les fera pas grandir au sens noble du terme. Ils y restent étrangers, comme ils le sont à eux-mêmes.

Conséquence de ces protagonistes trop convenus pour être émotionnellement attachants, l’intrigue dans laquelle on retrouve tous les codes du roman d’amour (sombre), s’étiole et tombe bien vite dans un archétype étriqué et ô combien prévisible et banal. Sans en dévoiler les arcanes, il suffit de songer à certains romans du milieu du XIXème siècle, coincés dans les codes petit bourgeois de bonne conduite sociétale.

La maîtrise du style, l’excellence de la documentation quant aux événements historiques qu’il rapporte, ne suffisent pas à faire de cette histoire quelque peu défectueuse dans son originalité, un grand roman. Les émigrés de Elen Brig Koridwen, hormis la fulgurance des premières pages, donne malheureusement une impression de déjà vu et déjà lu.

 

© L’Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott – 19/08/ 2016
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1. – … où les caractéristiques d’indépendance quelquefois hors-la-loi, hors les normes, évolue vers un désir lié d’action et de connaissance, de découverte et de dépassement de ses limites. (voir les caractéristiques des aventuriers chez Malraux, puis Kessel) par exemple)

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2 Comments

  1. Je découvre cette chronique dont j’ignorais l’existence. Merci de vous être intéressée à mon roman. Je préciserai juste que :
    1) il s’agit d’une histoire vraie, à laquelle je suis restée fidèle (impossible, donc, de chercher l’originalité à tout prix en explorant des voies plus « romanesques » : le roman colle aux canons de la société de l’époque tout simplement parce qu’il y est ancré)
    2) il s’agit aussi du premier tome d’une saga centrée sur la fille de Roger, lequel, précisément, construira sa vie en opposition à son père, le « colon ». Les deux tomes suivants sont rédigés, mais le tout reste subordonné à l’audience du premier opus.
    Bien amicalement,
    Elen

    1. Chère Elen,
      Il me semble bien, si ma mémoire ne me fait pas défaut, vous avoir informé via FB (où l’on se tutoyait), vous avoir informé de cette chronique comme je le fais systématiquement avec les auteurs et les éditeurs(cela me parait la moindre des choses, non ?), d’où mon étonnement devant cette tardive »découverte »
      Vous m’aviez alors fait part qu’il s’agissait d’une saga et qu’elle était basée sur la vie de vos grands-parents (ou arrière, là je ne me souviens plus).
      Bien amicalement, Mélanie.

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