Le sage attend tout de lui-même, le vulgaire attend tout des autres*

Chaque fois que j’ouvre un journal, chaque fois que j’écoute les informations télévisées, ou plutôt ce que l’on veut bien nous en servir, je me demande si je n’appartiens pas à une ère préhistorique. Qui peut trouver encore ses repères dans ce monde déboussolé ? 

Pourtant, s’il ne va pas mieux, il ne va pas plus mal non plus. Il continue sa course, sans que ce que nous croyons être notre conscience et qui n’est en fait que son manque, s’en trouve altérée. Entre prises de responsabilité éclairées, discours pontifiants, résolutions mesurées, décisions et mises en application aléatoires, les maux de la planète se succèdent s’enchaînent et se répètent depuis des lustres. Seuls leurs instruments ont changé. Passées ou actuelles, suscitées ou décidées, manipulées et contrôlées, gagnées ou perdues, les guerres demeurent néanmoins le vivier inépuisable de la gestion de ce monde, qui aujourd’hui vit sous la menace cathartique de multiples bouleversements annoncés, voire décidés en haut lieu, comme l’on dit.

Quand ce n’est pas une guerre, c’est une catastrophe. Quand ce n’est pas celle-là, c’est de l’arnaque de haut vol ou de bas-fonds. Des violences quotidiennes, massives ou individuelles, aux quatre coins de la planète. Des problèmes sociaux qui s’accumulent comme des tas d’ordures et que l’on incinère régulièrement sous des lois de plus en plus répressives et élitistes. Ce sont des émigrés qui meurent en douce à nos frontières, car même la mouise doit avoir ses papiers en règle. Ce sont des génocides oubliés ou en activité qui n’ont pas voix publique et dont les morts ne font pas scandale. C’est le soleil qui prend des poses et fait virer au rouge nos insouciances de progrès et de consommation. Ce sont les croisades du nouvel ordre mondial religieux, quelles que soient les religions et les croyances, qui se voilent d’intégrisme et servent toujours les intérêts du politique. Qui a dit que Dieu existait ? C’est la science en effervescence qui nous promet une révolution permanente, des clones, des enfants-tubes et j’en passe, mais qui n’ose plus le coup d’Etat. Ce sont des intellectuels qui érigent leur manque d’idées en statue du savoir, des penseurs dont l’unique trait d’esprit est d’être devenus pensifs. C’est l’humanité qui se fait la paire sans avoir le génie de se faire la belle. Et la liberté qui s’inscrit aux abonnés absents. C’est la France qui se vautre dans le bleu triomphant, électrisée par une mollesse présidentielle qui serait sous excitant thérapeutique si elle était plus anonyme. C’est une partie de l’Europe repue qui part en fumée et en gaudrioles pendant que l’Afrique affamée se ride comme un vieux parchemin. C’est l’Inde sous la corruption qui pirate les rares esquifs de solidarité. C’est le Bangladesh qui finira par mourir, rongée par les inondations et une disparition programmée. C’est la Chine qui nous fait un lifting d’humanisme pour monter sur le podium des médaillés de la bonne conduite et l’Arabie Saoudite qui embauche des bourreaux. C’est Judas qui s’est fait domestique du CAC40 et brade le monde pour solde de tout compte, en échange de paradis artificiels et bien entendu, fiscaux pour ses dévots. C’est le fric qui devient un luxe. Bref, ce sont de nouveaux murs de la honte qui s’érigent partout dans le monde. Exit le mur de Berlin ?

Et nous écoutons – sans à peine broncher – s’ égrener ces litanies de malheur, avec comme une cerise posée sur un mauvais gâteau, les sueurs intimes de tous ces gens fameux, « The People », qui se déclinent à toutes les sauces, artistes pour une nuit, pour un mois, pour un an. Il faut croire que la gestion du malheur est non seulement plus rentable mais aussi plus inventive que celle du bonheur. Destruction. Reconstruction. Rodage des armées. Vente d’armes. Commerce du sang. Bombes. Morts. Victimes. Ouverture de marchés à coups de VIP présidentiels. Mise en coupe réglée de l’économie. Chantiers et travaux publics, parfois pharaoniques. Mais aussi, pauvreté, famines, maladies et épidémies qui ouvrent leurs chemins prometteurs à la nouvelle spiritualité d’aujourd’hui, le capitalisme de consommation. A une échelle moindre, la loi légifère de subtils verrouillages de plus en plus tordus qui participent avant tout à la protection d’intérêts économiques de quelques multinationales et grosses fortunes minoritaires, et de moins en moins à la défense des individus. Le bien-être de quelques-uns prévaut sur celui de tous, non ?

Ceux qui ont un regard critique et centrifuge sur le monde d’aujourd’hui, tout comme ceux qui sont aveugles et ont une attitude centripète, sont – les uns comme les autres -, rattrapés par une même désillusion chronique. Que l’on soit éveillé ou endormi, collaborateur ou rebelle, adolescent, adulte ou vieillard, athée ou croyant, militant ou non, citadin ou campagnard, la frustration que l’on éprouve à ne pas pouvoir intervenir en quoi que se soit dans ce monde, est latente et patente. Parfois, il arrive qu’une génération enfante sa rébellion ; les suivantes, la critique, l’intègre, l’avorte ou la renie et le temps aidant, tous en deviennent les enfants nostalgiques et fétichistes. Notre démocratie est en plein déclin. Et nous y avons collaboré pleinement. Certes dans nos sociétés industrialisées, il y a toujours eu et il a toujours – peut-être même plus -, autant d’élections tronquées, de débats foireux, de polémiques soulantes et de politiciens corrompus. Mais ce qui a fondamentalement changé est l’impact direct des nécessités et des désirs du citoyen sur les orientations du gouvernement et de son administration..

Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? La réponse est simple : le citoyen ordinaire que nous sommes, s’est peu à peu laissé séduire par cette Religion de la Raison et ses courtisans, qui a silencieusement fait le lit de notre intégrisme idéologique, le plus profond, entre résignation et impotence. Ainsi, au nom de la sacro-sainte efficacité, de la gestion des ressources humaines, de la compétence, du rationalisme, du triomphe et du libre échange, nous nous sommes dangereusement séparés de ce bon sens, si cher à Descartes. Tous nous souffrons du syndrome de l’ignorance délibérée répétant à l’envi :  « C’est ce qu’il y a… Faut faire avec… »-  « Es lo que hay… », disent les Espagnols. En conséquence… peine et mélancolie et souffriront les peuples et les cœurs qui n’obéissent qu’aux héros de papier.

Nous sommes devenus des mutants. Le monde meurt de son autisme. La stupidité et l’égoïsme de l’Homme ont conduit la joie au tombeau. On ne rigole plus sur Terre. Même la nature n’ose plus se reproduire de peur de déranger les OGM.

* Citation de Confucius

© Mélanie Talcott –21/05/ 2017
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