Il est neuf heures, braves gens, rentrez chez vous

L´homme qui n´est pas maître de lui même, jamais ne sera libre.
Pythagore

Les masques dissimulent les bâillons

Il est neuf heures du soir, Braves Gens… Rentrez chez vous et dormez tranquilles. Grand chef de guerre veille sur vous.
Le temps est venu de nous voiler la face sans avoir à en rougir, de nous calfeutrer soigneusement la devanture jusqu’à la truffe, de nous retrancher derrière un bout de tissu pour végétailler béate-ment à l’abri de ce putain de virus qui se tape grave l’incruste dans l’espace public autant que privé. Après avoir été assignés à résidence pendant près de trois mois et invités tels des taulards à nous décrisper les jambes et la tête une heure par jour à condition de montrer patte blanche à la maréchaus-sée, nous voilà sommés, grandeur et misère de l’asepsie, de garder par devers nous nos postillons, suspects de morbidité coronavidienne. De la boucler et de rentrer dans le rang.

Normes: on pourra sortir pour se balader
dès lors que l’on se sera enfermé en soi-même.

Oui, je sais … ça fait chier… C’est astreignant. Voilà qu’il nous faut inventer d’autres gestes barrière. Avoir des yeux dans le dos pour ne pas le courber quand la police si prompte à dégainer son stylo pour nous coller son amende bonnet d’âne, sera à l’alpague afin de vérifier la rectitude du port de ce loup protectionniste et que nous savons bien compter jusqu’à six, le chiffre clef de notre vie, privée et publique, sous pandémie. Apprendre à ne plus respirer à pleins poumons, mais juste se contenter de sentir comme un poids sur la poitrine, et le souffle au bord des lèvres, faire contre mauvaise fortune bon cœur et prendre plaisir à recycler notre propre dioxyde de carbone et à ravaler nos baisers. « Ne pas avoir de gestes d’affection sans précaution », comme nous l’a recommandé Macron. Du bout des lèvres, du bout du cœur. On imagine l’amour et pas seulement le sexe, obéissant à cette stupide injonction. Et la sueur sur nos joues comme un parfum de servitude. Mais bon, on ouvrira les fenêtres toutes les dix minutes, comme nous l’a conseillé doctement notre président.

La poésie ne nous démangeant plus l’alambic et la shoah de l’intelligence battant séance plénière quotidiennement dans les alcôves ministérielles, au sein des médias mainstream ainsi que dans nos cerveaux transis de trouille, nous voici gavés de force de Covidmania discrétionnaire, pour certains dans l’attente d’un vaccin, véritable OPA scientifique mondiale, business oblige, qui nous promet tel un napalm biologique, la mort programmée de cette Covid-19. Oui je sais… ça fait chier.

En attendant nous voici mis sous cloche par un couvre-feu rédempteur dans le but de calmer nos indisciplines hexagonales. Deux, quatre, six semaines, peut-être plus. Il ne niquera sans doute pas cette Covid qui change sans arrêt de tenue et de teneur, et se fout des horaires comme d’une guigne, mais si, certainement beaucoup d’entre nous, affectivement et matériellement. Grand Chef de guerre en a décidé ainsi. Tout seul. Il a parlé. De l’édulcoré, du remplissage, du paternalisme à trois balles, du parler creux, évitant de faire amende honorable et de reconnaître ses torts, à savoir que son gouvernement et lui-même nous a flanqués dans cette panade. Mais il est vrai que si l’on se compare aux autres pays, il n’y a rien à redire de cette gestion incohérente, n’est-ce pas ?

Le système échoue ? Peu importe nous disposons d’un autre, semblable

Cette hystérisation collective et le délire schizophrénique et liberticide de nos gouvernants, que Shakespeare eut sans doute convertie en une superbe tragédie, ne sont pas sans avantages. A notre corps défendant, cela nous force à nous presser le citron pour capter ce qui est dissimulé à nos regards, à nos oreilles et à nos neurones, d’autant plus que les acteurs de cette tragi-comédie politicienne nous donnent à couilles rabattues des leçons de pédagogie bas de gamme. Gouverner, c’est prévoir, prévenir et prendre soin. Normalement.

Car notre gouvernement Ouiouimaisnon-jepeuxtout se contente, lui, de garder le cap indigeste de son incohérence. Complètement accro et shooté à son logiciel managérial, il se fout comme de l’an quarante des possibles erreurs système qu’il booste allègrement en utilisant le virus de la peur comme agent contaminant. Ses troupiers promettent une chose, en font une autre, et détricotent maille à maille, lentement mais implacablement, le tissu social, économique, culturel et affectif et toutes les représentations que nous avions de nous-mêmes et des autres à coups d’exercices de com’ anxiogènes dont ils nous gavent impudiquement.

Qu’est-ce qu’ils en ont à foutre tous ces présidents réunis en G7 exponentiel ? De droite, de gauche, du centre ou des extrêmes, et même intégristes religieux, ils sont du bon côté du manche et prêts à tout et n’importe quoi pour le garder en main, la même peut-être dont ils se secouent le membre après avoir joui d’un plaisir onaniste. Leur morale à voile et à vapeur est celle, cynique, du pouvoir. Mais ils font croire à leurs peuples à la noblesse pérenne des institutions et à la justesse de leurs décisions. Feu vert, feu rouge… Couvre-feu, bientôt peut-être loi martiale ? Une guerre larvée qui ne dit pas son nom… L’ennemi, c’est le peuple qu’il faut lobotomiser et numériser afin de pouvoir en exploiter toutes les ressources. Et la justification des hostilités, un virus.

Pour votre sécurité, restez effrayés

Zélotes d’une guérilla mentale aussi rouée qu’agile, ces élites ont le mensonge politicien d’autant plus facile qu’elles sont convaincues que le peuple est obtus ou qu’il pense mal. Ignorant par essence, il leur incombe de lui astiquer pédago- giquement les neurones pour que jaillissent quel- ques étincelles aux intelligences fripées de « cette population française qui souffre d’acculturation scientifique », comme nous l’a assénée celle, mordante d’idiotie, de Sibeth Ndiaye. Pauvre peuple bas de plafond puisque si l’on en croit Castex, qui suinte une empathie funèbre : « Il faut des mesures saignantes pour que les Français ouvrent leur écoutilles. » Leur mépris affiché et leur condescendance larvée sont la monnaie de singe avec laquelle elles se défraient de leurs ébats narcissiques. Ces élites pensent pour nous, du moins le croient-elles mais qui pensent pour elles ? Le pire est qu’elles arrivent à se persuader de la sincérité de leur propos.

Mais voila, la réalité nous rattrape. Comme d’hab. Masquée à l’invisible. Sous couvre-feu. Nos libertés réduites comme une peau de chagrin, hier par d’autres « ismes » croisés, aujourd’hui par celui du macronisme, brandissant sur nos corps et nos esprits, son opportuniste épée de Damoclès, la Covid 19, sous l’égide imperturbable du capitalisme mondialiste. Qu’il se proclame ultralibéral ou non, lui, il s’en fout. Il n’a ni idéologie, ni morale. Il s’adapte à tout. Le voilà le véritable chef de guerre !

Certes, nous manifestons sporadiquement, envahissant de nos indignations ponctuelles la rue que depuis belle lurette, nous avons désertée. Nous faisons de petites grèves locales, fuyant la générale. Nous organisons des retraites nocturnes au flambeau, des cercles de silence, des marches blanches ou djembé et banderoles, des rondes d’obstinés, des pique-niques dans les supermarchés, parfois des kidnappings ponctuels de cadres et dirigeants d’entreprises, des grèves de la faim éclair, des occupations d’usines et d’universités, espérant comme une bouée de sauvetage, la négociation salvatrice gouvernementale, des protestations orales et des pétitions à tire-larigot. Clowns de nos impuissances. Escouades désenchantées tant assistées par une société que nous avons nous-mêmes construite qu’il ne nous reste plus comme libre arbitre que celui de la frustration, du ressentiment et de la résignation, la pensée figée vers ce seul but : que le politique nous consente cette liberté planétaire sous cybercontrôle.

Mais pourquoi se plaindre, puisque nous luttons non pas pour pratiquer la vraie démocratie, celle qui exige implication, solidarité et partage – en un mot, la bienveillance -, mais pour en préserver le pathétisme pathologique ? Autrement dit pour préserver ces droits et acquis pour lesquels, la plupart du temps, nos ancêtres, voire nos grands-parents, ont été les seuls à verser en notre nom et avenir, sueur et sang. Nous avons tant passé et repassé le fil de nos exigences à celui du droit légiféré par les soi-disant élus du peuple qu’il ne nous reste guère plus que le désir de jouir de ces miettes que nous considérons comme notre liberté. Aujourd’hui, il faudrait qu’il nous en arrive une bien grosse, qu’on nous encule jusqu’à l’os pour que l’on réagisse, qu’il y ait des bébés qui se vendent par distributeur automatique et qu’on nous autorise à dire : « celui-là j’en veux pas, trop maigre, trop grand, pas assez blanc, pas assez noir, mal genré… » Et encore, il n’est pas certain que l’on prendrait la direction la plus juste.

A force de jouer les idiots utiles, les années passant, on devient mouton. Le taureau, lui, reste bien au chaud dans nos rêves. Le capitalisme, les gouvernants et consorts s’en frottent les mains, tellement ébahis par notre capacité à la réclusion volontaire, qu’ils continuent à enfoncer le clou. Si l’on ne collaborait pas à toute cette mascarade pour endormir les ânes, si l’on pigeait jusqu’en avoir mal à l’âme et au cul que ce qui nous unit fictivement sur les réseaux sociaux, nous sépare aussi sûrement dans la vie réelle, bien plus que les gestes barrière et le masque, peut-être descendrions-nous dans l’arène pour affronter le taureau et défendre nos convictions. Le seul cauchemar du capitalisme et de ses sbires. Le phénomène de masse est l’unique trique qui l’épouvante. On ne peut pas refaire le monde de demain avec ceux qui l’ont raté si récemment. Malheureusement, il semblerait que Carl Jung a raison: « Une société sans rêve est une société sans avenir. »

Un grain de maïs a toujours tort devant une poule… Oui je sais, ça fait chier. Terriblement.

La peur est un microscope qui grossit tout

 

© L’Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott – 10/10/2020.
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Les dessins sont du dessinateur espagnol El Roto, que je remercie. J’espère qu’il ne me tiendra pas rigueur de ces emprunts.
Utilisant simultanément les pseudonymes OPS et El Roto, Andrés Rábago publie ses dessins dans des revues telles que La Codorniz, Hermano Lobo, Triunfo et Madriz, puis dans les journaux Diario 16, El Independiente, El Periódico de Catalunya et El País. Il se consacre également à la peinture sous son propre nom

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