Le pot de confiture

Je les vois, je les écoute. Palabrer, polémiquer, s’invectiver. Ils se posent tous des questions, la même à vrai dire. Qui est responsable de cette tragédie dont on suit le déroulement, scène après scène, retransmise en direct sur nos écrans de télévision. Une tragédie qui ne connait pas de frontières, qui se fout des conventions, des internationales comme des nationales, des collectives comme des individuelles. Une tragédie qui répète son inlassable scénario toujours autour des mêmes acteurs, des bourreaux et des victimes, des bourreaux en col blanc ou enturbannés, des victimes anonymes, chaque jour par centaines aux quatre coins du monde et la mort qui fait son cinéma.

Elle fait sa belle, comme disent les mômes d’autant plus facilement qu’on lui prépare consciencieusement, quotidiennement le décor et les lumières. La mort est aussi devenue un produit de consommation. Une star de la scène internationale que l’on selfie depuis nos smartphones. Là aussi, nous avons enfreint l’ordre naturel des choses. Aujourd’hui, c’est moins elle qui prend des vies que nous qui les lui donnons, les lui vendons et la promotionnons. Le pot de confiture, il est là. Mais personne ne veut y tremper le doigt. Linceul verbal. Dans la Bible, le mot mort porte le nom de Silence. Où est la différence entre celui fabrique les armes, celui qui les vend, celui qui les utilise et celui qui veut vivre en paix et consommer peinard ? Il n’y en a pas. L’héroïsme se calcule souvent sur des risques pris par d’autres. Le temps du deuil, notre cœur s’accorde sur celui des victimes et de leurs proches, on allume à profusion des bougies comme autant de manifestations de solidarité, avant que la vie qui ne tient qu’à un fil, comme on a coutume de le dire, reprenne son cours, ses habitudes, comme on a également coutume de le dire, jusqu’à ce que ce fameux pourquoi se perde dans les méandres de nos lâchetés. Elles sont tellement nombreuses, elles sont aussi tellement anodines, qu’elles ont tracé en nous un labyrinthe dont il semble que l’on soit incapable de sortir. Je les écoute et j’hallucine. Non de ce que j’entends, sinon avec quelle saine et constante hypocrisie, ils manient publiquement le mensonge. Je hais le mensonge. Quelle nation, quel pays, inclus quelle démocratie n’a pas réussi son avancée historique et économique, si ce n’est grâce à des choses haïssables qu’elle a peut-être elle-même exécrées ?! L’impérialisme américain, le colonialisme européen, le capitalisme ultralibéral, la corruption, ce paludisme mondial ! La liste est longue, toujours ouverte et mise à jour. Une guerre ne s’est jamais livrée avec des bibles, des corans ou des pistaches, sinon avec des armements, occidentaux de préférence. Il y a tout un monde qui participe chaque jour à cet effort de guerre larvé et ce monde là ne peut pas et ne veut pas parler. Il ne peut pas dire ni ce qu’il a fait ni ce qu’il fait. Mais il le fait depuis toujours.

Les 5 plus gros vendeurs d’armes dans le monde (Amnesty International – USA, Russie, Chine, France, Royaume Uni…)

 

Jeanne était au pain sec…
Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir,
Pour un crime quelconque, et, manquant au devoir,
J’allai voir la proscrite en pleine forfaiture,
Et lui glissai dans l’ombre un pot de confiture
Contraire aux lois. Tous ceux sur qui, dans ma cité,
Repose le salut de la société,
S’indignèrent, et Jeanne a dit d’une voix douce :
– Je ne toucherai plus mon nez avec mon pouce ;
Je ne me ferai plus griffer par le minet.
Mais on s’est récrié : – Cette enfant vous connaît ;
Elle sait à quel point vous êtes faible et lâche.
Elle vous voit toujours rire quand on se fâche.
Pas de gouvernement possible. À chaque instant
L’ordre est troublé par vous ; le pouvoir se détend ;
Plus de règle. L’enfant n’a plus rien qui l’arrête.
Vous démolissez tout. – Et j’ai baissé la tête,
Et j’ai dit : – Je n’ai rien à répondre à cela,
J’ai tort. Oui, c’est avec ces indulgences-là
Qu’on a toujours conduit les peuples à leur perte.
Qu’on me mette au pain sec. – Vous le méritez, certes,
On vous y mettra. – Jeanne alors, dans son coin noir,
M’a dit tout bas, levant ses yeux si beaux à voir,
Pleins de l’autorité des douces créatures :
– Eh bien, moi, je t’irai porter des confitures.
Victor Hugo – 21 octobre 1876 

© L’Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott  – 18 novembre 2015
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