dessin de Carole Dégarie

Oui je sais… ça fait chier (3)

La sémantique se révèle souvent un outil à double tranchant et dans son maniement, Macron est un bretteur. Son art oratoire, parfois obscur et confus, sait aussi s’emparer des évènements pour détourner leur sens lexical, selon les intérêts politiques du moment, si l’on en juge par son propos (lors d’une interview avec un youtubeur) :  « Il y a eu une attaque à Lyon (…) il ne m’appartient pas d’en faire le bilan, mais a priori, aujourd’hui, à ce stade, il n’y a pas de victime. Il y a des blessés, donc je veux avoir évidemment une pensée pour les blessés, leurs familles ».

C’est ainsi qu’un attentat, que l’on qualifiait il y a peu lorsqu’ils furent individuels comme étant « l’acte d’un déséquilibré », est aujourd’hui considéré comme une attaque.

Attaque ayant pour synonyme agression, cette nuance se propose sans doute de dédramatiser et d’isoler de son contexte réel (dont on ne saura sans doute rien d’autre que l’autorisé), le geste du suspect présumé, mais aussi d’écarter, en cette période d’élections à haut risque, l’éventualité du terrorisme auquel est intimement associé le mot attentat. Deux vocables qui véhiculent la possibilité de votes contraires au pouvoir en place. Et comme le remarque justement Gilles Malandain dans son article (2012)  Les sens d’un mot : « attentat », de l’Ancien Régime à nos jours : « les pouvoirs libéraux, censés ne plus attenter aux droits et aux libertés, ne sauraient en tout cas commettre d’attentat contre quiconque. »

Exit donc l’attentat… Gardons l’attaque, plus leste que l’agression et moins mortifère que l’attentat.

Exit aussi les victimes. Justes des blessés. Voilà qui va réconforter les treize personnes atteintes non seulement dans leur chair, mais aussi certainement dans leur esprit, par ce colis piégé dont nous dit le maire de Lyon, « la charge était trop légère pour tuer ». Il semblerait que dans la pensée présidentielle, le mot victime soit confusément associé à la mort d’une ou plusieurs personnes et que les blessé(e)s ne peuvent prétendre à ce statut, puisque bienheureusement « toujours » vivantes.

Rappelons opportunément cette définition de l’ONU dans sa Résolution 40/34 du 11 décembre 1985, où sont qualifiées de victimes « les personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi un préjudice, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui enfreignent les lois pénales en vigueur dans un État membre, y compris celles qui proscrivent les abus criminels de pouvoir ».

Dernière remarque : « donc je veux avoir évidemment une pensée…  » Donc, évidemment… Deux mots anodins, mais de trop. L’empathie ne s’invente pas.

Vous qui vivez en toute quiétude / Bien au chaud dans vos maisons / Vous qui trouvez le soir en rentrant / La table mise et des visages amis / Considérez si c’est un homme / Que celui qui peine dans la boue / Qui ne connaît pas de repos / Qui se bat pour un quignon de pain / Qui meurt pour un oui pour un non / Considérez si c’est une femme / Que celle qui a perdu son nom et ses cheveux / Et jusqu’à la force de se souvenir / Les yeux vides et le sein froid / Comme une grenouille en hiver […]., écrivait Primo Levi, dans Si c’est un homme.

En cette veille fébrile d’élections européennes du 26 mai 2019 et parodiant Hemingway, on peut se demander, sans parti prendre : Pour qui vote le glas ?

© L’Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott – 25/05/2019 –

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Illustration empruntée sur : le blog de Carole Dégarie 

 

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