La solitude de l’auteur Indé

Publier soi-même un livre, c’est d’abord, d’une façon quasi certaine, assumer son abandon. C’est un peu le môme décalé que l’on ne sait plus par quel bout prendre pour que justement, il parvienne à tenir debout tout seul. Alors, on s’en remet à sa bonne étoile et on le confie au quidam qui passe, à la garderie-librairie, à l’école-bibliothèque, aux meetic-salons du livre ou au café du commerce des idées. Pour que ses pages lui bercent une enfance heureuse, socialement épanouie, on l’inscrit à des clubs, à des groupes facebookiens ou autres. On lui tisse des réseaux d’amis virtuels qui jamais ne le prendront aux mots. Le voilà donc à l’abri de toute curiosité polémique. Il peut dormir hors de ses marges et se dire qu’il a échappé au pire, puisqu’il sera sain et sauf de tous ces conflits hasardeux, prompts à générer des traumatismes intellectuels qui lui auraient sûrement valu des séances de recadrage littéraire. Néanmoins, comme n’importe quel parent consciencieux, il arrive toujours un moment où l’on se demande si l’on a fait tout ce qui était en notre pouvoir pour l’épanouissement de ce petit. N’aurait-on pas oublié, par mégarde ou par ignorance ou encore par suite d’un orgueil mal placé, un élément essentiel à son développement personnel et durable ? La culpabilité peut se révéler un jéroboam d’initiatives fantasques. Vous voilà dressant une nouvelle liste d’invités, que jusqu’alors vous aviez écarté, préjugeant que la lutte était par trop inégale, voire perdue d’avance… Chez ces gens de la capitale, on s’intéresse rarement aux sans-papiers de la culture, encore plus quand ils crèchent dans la France d’en bas, ces petites régions gangrenées lentement par la désertification du savoir ! Mais bon, on se tance, on hésite, on se raisonne et on conclut qu’au moins, on n’aura pas de regrets, on aura fait tout ce qu’il est possible de faire, Service Presse Oblige.

Alors on envoie le petit avec une lettre d’introduction chez X et Y le premier parce qu’il ne se couche jamais et le second parce que c’est un décalé au grand cœur, du moins on le pense (et ô combien on se goure !). On essaie de lui trouver une petite place dans l’intimité cosy de la grande librairie télévisuelle et une autre sur les banquettes rouges de Q, misant sur la curiosité du directeur (ou trice) de production. On le glisse sur la table de chevet d’un journaliste vent en poupe qui croque du livre comme il dévore ses croissants du matin et sous le regard bienveillant de ce libraire qui surfe toute houppette dehors sur le Net. Comme on le sait impropre à se couler dans le moule des normalités éditoriales en proie à la fièvre coercitive « marketing, copinage and Co », on le dirige vers un journal qui se targue d’ouvrir sa gueule là où tout le monde la ferme, espérant que son rédac chef lui fasse office de parrain. On ose même le type mis d’office à l’index de la bien-pensance, parce qu’il n’a pas toujours tort et que le « sois zen et tais-toi », ça vous plonge trop souvent dans des abîmes d’ambigüité. Enfin, on y ajoute quelques impulsions, des personnes que l’on apprécie sans qu’elles nous connaissent.

On entend déjà les murmures perplexes du lectorat potentiel : c’est qui cette nana ou ce mec ? Ils ont fait quoi avant ? Ont-ils écrit d’autres livres ? Peut-on leur faire confiance ? Acheter un bouquin écrit par quelqu’un dont personne n’a jamais entendu parler, c’est un peu risqué, non ? Il y a déjà tant d’ouvrages merdiques que l’on nous vend comme des chefs d’œuvre, qu’on finit par se méfier !

Les jours passent, les feuilles tombent, la lumière grisaille, tremblote et puis s’éteint. Le facteur ne délivre que des liasses de publicité et des factures. Et ces autres de là-bas dont on espère toujours, sans vraiment y croire, une délicatesse épistolaire, ne serait-ce que quelques mots d’une fin de non recevoir sympathique, restent grossièrement muets.

Toute déception absorbée, il nous reste une dernière chose à faire, un peu comme en ces jours où la perte d’une dent de lait se résumait au plaisir bienheureux du passage de la petite souris sous notre oreiller. On s’institue acheteur, lecteur et critique de nos propres bouquins. Et puis… on finit par rire de tout ce cirque.

© L’Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott –22/08/ 2017
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