Anéantir, Michel Houellebecq

Imaginez… Si l’on faisait des dégustations de livres comme on en fait pour le vin. Sans mention ni du nom de l’auteur, ni de l’éditeur, ni du titre. L’idée m’a toujours séduite, mais personne ne s’y jamais risqué tant serait mise à mal serait la mythologie du Grand Ecrivain, sans parler de la médiocrité de beaucoup d’autres qui sont portés aux nues littéraires par une critique hypocrite et complaisante.

Si l’on soumettait à ce jeu le dernier Houellebecq, anéantir, encensé avant même sa parution par une pléthore de journalistes et télévisions qui vantent sa couverture en carton martelé et le papier choisi par l’auteur pour « ne pas jaunir avec le temps », en supputent le contenu en se limitant au quatrième de couverture et lui prédisent d’emblée un succès mondial1, saurait-on que c’est du Houellebecq ? Pourrait-on encore fanfaronner que c’est notre « grantécrivain » hexagonal, « la star des lettres« , « possédant la grandeur d’un Balzac » ? A mon avis, non. C’est du foutage de gueule, de la fake news marketing. 

Passons sur le style fade, que d’aucuns qualifient de sobre et qui n’a d’autre dimension que sa platitude affligeante. Sans doute recherchée par l’auteur, elle finit par être exaspérante tant elle prive ses personnages d’une crédibilité que pourrait leur apporter une exubérance émotionnelle. Malheureusement, il semble que la psyché de l’auteur en soit dépourvue… Sauf quand il parle de baise et de bite !

Passons sur la première partie, une ébauche de thriller cybernético-terroriste qui tourne court tant, puisque, le mot étant à la mode, l’auteur semble s’y emmerder grave. Passons sur les références au goût wikipédien, entre autres billevesées, sur Marcel Grosménil, la politique de Villejuif ou le traitement fort détaillé du cancer de la gorge qu’il nous inflige dans la troisième partie, les perfidies faciles dont il gratifie René Girard, Zemmour « un bâtard de sa race » et quelques autres célébrités people senior ou encore sur le candidat à la présidentielle 2027 qui évoque furieusement Hanouna. Passons également sur le name et logo dropping abusif.

Passons aussi sur le personnage annexe de Bruno Juge, un brillant énarque inconsistant, inodore, incolore, besogneux et asocial, reclus volontaire, ayant pour seuls interlocuteurs vivants, ses dossiers. C’est, nous dit Houellebecq : « probablement le plus grand ministre de l’Économie depuis Colbert« . Un clone de Bruno Lemaire, murmure la rumeur élitiste germanopratine, ce qui a fait, nous rapporte Le Monde du 22 décembre dernier « empourprer de fierté et de joie, le teint pâle et les pommettes » de l’intéressé. A sa place, je serais plutôt vexée de cet effet miroir pitoyable !

Houellebecq évoque également, sans jamais le nommer, Macron « magnifique animal politique« , terriblement machiavélique qui n’hésite pas à user et à abuser de ses collaborateurs pour assouvir son goût du pouvoir qui « n’implique nul choix d’une idéologie, ni d’une orientation politique particulière« . Une analyse des arcanes du pouvoir qui ne nous apprend pas grand chose, compte-tenu du gavage des medias mainstream qui depuis cinq ans, en exacerbe la mythologie.Il n’empêche qu’un vertige fugace de lucidité nous saisit dès lors que on se met à penser que ce sont justement ces gens dénués d’empathie, qui nous dirigent.

Passons sur les nombreuses évocations sexuelles et sexistes, la femme oscillant entre un trou maternant, la pute thérapeutique ou une retardée mentale, quand non hystérique. Bite, fellation, chatte, fantasme du string, étroitesse des vagins, spécificité asiatique s’il vous plaît – Paul, l’ombre de Houellebecq et protagoniste principal d’anéantir, a eu, entre autres, « une petite amie bouddhiste qui savait contracter sa chatte » ; « Peu après, il avait couché avec une autre bouddhiste…[…]…, la fille était certes canon mais elle ne savait pas  contracter sa chatte ». La vulgarité des gestes et des mots ne doit faire jouir que les impuissants !

Le reste du roman consiste en un jeu de famille, celle de Paul Raison, celle-ci issue d’une classe sociale aisée. L’auteur appelle d’abord la mère (décédée), Suzanne, qui  « les avait purement et simplement laissés tomber dès qu’elle s’était découvert une vocation de sculpteur. » Puis vient Le père Edouard, ancien de la DGSI, un tantinet porté sur l’alcool mais d’une rigueur militaire, taiseux et peu affectueux, pour qui « son travail et le service de l’État passaient avant tout, ça c’était évident depuis le début, ce n’était pas négociable». Ensuite Cécile, la sœur, la ravie de cette crèche familiale, lepeniste et intégriste catholique pour qui Dieu a toujours le dernier mot, mais qui ignore que sa fille Anne-Lise joue les escort-girls pour payer ses études, celle-ci finissant d’ailleurs par faire, au hasard du « youporn », une fellation à son oncle Paul, histoire de le remettre en marche auprès de sa femme Prudence, reconvertie au véganisme et à la mystique wicca. Et pour terminer ce premier cercle familial, le petit frère Aurélien, enfant non désiré, le canard boiteux de la famille, restaurateur d’oeuvres d’art comme sa mère, à elle les pierres, à lui les tapisseries, de la fin du Moyen âge et du début de la Renaissance,

Viennent ensuite les conjoints : la récente compagne d’Edouard, Madeleine, son « aide ménagère capable capable d’accomplir les tâches classiques (ménage, courses, cuisine, lavage, repassage) auxquelles son père était radicalement inapte, comme tous les hommes de sa génération« , dont Houellebecq dresse un portrait réducteur entaché de mépris de classe, mépris qu’il affiche également envers Hervé, le mari de sa sœur, notaire « de quoi ressentir une certaine fierté pour un fils d’ouvrier« , mais actuellement chômeur, et qui en conséquence « ne s’est probablement pas lancé dans des dépenses irraisonnées – sa Dacia Duster était en bon état, mais ce n’était qu’une Dacia Duster. » Et enfin, Indy, « une connasse de journaliste de second plan », de gauche évidemment, qui hait les faibles, et particulièrement son mari Aurélien, mais adore le fric des autres et son fils métis qu’elle a eu par GPA.

Enfin bref, une famille que l’on ne souhaite à personne. Un fourre-tout sociologique avec beaucoup de choses communes à tout un chacun, de mensonges, de lâchetés et de non-dits.

Cette réjouissante vision intrafamiliale est celle de Paul, si creux et si lisse que la médiocrité habituelle, aussi pathétique et parfois flamboyante, des héros houellebecquiens, lui fait défaut. Aussi naufragé que son patron, Bruno Juge dont il est le confident plutôt que conseiller, mais atteint d’un vide existentiel abyssal. Depuis dix ans, Prudence et Paul expérimentent un « désespoir standardisé » dans un appartement luxueux et ne partagent plus rien. Ni la parole, ni le sexe, ni la tendresse, juste le frigo, charcuterie pour lui, légumes et tofu pour elle, ce qui conduit Houellebecq à énoncer ce poncif éculé : « une amélioration des conditions de vie va souvent de pair avec une détérioration des raisons de vivre, et en particulier de vivre ensemble. »

Heureusement, la vie sait booster cet exil intérieur commun, hélas, à bien des familles, en la brocardant de malheurs. Mais il faut qu’elle tape là où cela résonne. Son frère Aurélien qui se pend à la première déconvenue, ne provoque aucun écho chez son aîné, si ce n’est une indifférence, teintée de dégoût. Au contraire, le spectre d’une vieillesse mise sous séquestre, son père ayant fait un AVC qui l’a laissé dans un état de conscience minimale, dérobant à Paul une réconciliation de dernière heure avec son paternel, et celui de sa mort annoncée puisqu’il souffre d’un cancer terminal de la gorge, voilà de quoi le rebooster ! La proximité de sa mort efface, avec une facilité désarmante, cette pathétique ardoise de misère affective et sexuelle, de silence plombé, de loyauté trahie, d’autisme psychique et physique. Miracle ! L’amour comme au premier jour et la « bite » en l’air !

Le problème de Houellebecq est qu’il écrit avec la tête, ce qui ne fait pas de lui un penseur, et non avec le cœur, ce qui, si, en fait un analyste sentimentalement asexué et de son époque et de sa propre complexité nihiliste. Aux portes de la vieillesse et de sa finalité inéluctable, le nihilisme toxique, quasi un burn-out permanent, qui se nourrit de sa propre vanité et hante l’auteur, semble atteint de caducité tragique.

Ne lisez anéantir que si vous voulez participer à un quiz pince-fesses : « Eh ! Tu as lu le dernier Houellebecq ? »
Evitez de le lire si vous êtes dépressif grave, voire suicidaire ou si le monde d’aujourd’hui avec son futur en berne vous flanque les nerfs à fleur de peau.
Mais dans tous les cas, gardez présente à l’esprit cette phrase d’Alphonse Allais : « les gens qui ne rient jamais, ne sont pas des gens sérieux« .

Note
1. -https://editions.flammarion.com/aneantir/9782080271532

 

© L’Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott – 18/01/2022.
Aucune reproduction, même partielle, autres que celles prévues à l’article L 122-5 du code de la propriété intellectuelle,
ne peut être faite de l’ensemble de ce site sans l’autorisation expresse de l’auteur

Loading

Lisez et partagez avec bienveillance

Leave a Comment

error: Content is protected !!