Cherchez l’erreur

Le destin d’un livre auto-édité dépend-il en partie de sa visibilité sur les réseaux sociaux ? A chaque nouveau livre écrit et publié de manière indépendante et autonome, par choix assumé ou par refus, voire la plupart du temps par silence impoli, des éditeurs, l’enthousiasme au mieux, les illusions au pire, reviennent. La foi est faite de doutes. Les questions sont nombreuses et souvent, sans réponse.

De nombreux éléments ne dépendent pas des auteurs eux-mêmes. Ni de leur qualité ni de leur médiocrité, puisque tout se vend, s’achète et se lit, le pire comme le meilleur. Mais si, du système éditorial lui-même. Un affrontement permanent pour défendre leur pré carré et gagner des parts de marché.

D’une part, on assiste à l’éternelle guerre larvée entre les éditeurs germanopratins (quasi un arrondissement de Paris) qui appartiennent à des grands groupes financiers étrangers cotés en Bourse et par conséquent, assujettis à croître d’un 8% annuel, et les autres disséminés sur l’ensemble du territoire, indépendants ou non, qui tentent de percer ce panier de crabes. Les premiers prennent des risques calculés, les seconds ont des coups de coeur. Le livre En attendant Bojangles d’Olivier Bourdeault, en est un exemple. Refusé par nombre de maisons d’éditions parisiennes, il a finalement été édité par une maison d’édition bordelaise, jusqu’alors peu connue, les éditions Finitude. Adoubé par les plumes officielles des médias à grand tirage ou télévisuelles, il a connu un succès fulgurant. Ajouté à cela, que les premiers vont de plus en plus, au plus facile : repérer les auteurs indépendants qui cartonnent sur Amazon, sans se soucier trop du contenu et beaucoup plus, des bénéfices potentiels qu’ils vont tirer de ces ventes « pré-programmés » Il y a aussi une catégorie d’éditeurs qui vous retournent cet argument quelque peu surréaliste : « je ne publie pas d’autoédités dont les livres ont déjà été publiés. », réponse entendue récemment. Exit la curiosité !

D’autre part, élément de notre modernité virtuelle, il y a de plus en plus de gens qui écrivent, du bon jusqu’à l’exécrable. Ce vertige surnuméraire a pour conséquence l’étouffement assuré pour la majorité d’entre eux, et en concomitance, l’invisibilité et parfois, le découragement.

Cette multiplication exponentielle des auteurs va de pair avec celle des plate-formes qui offrent à peu près toutes les mêmes services, moyennant finance dans leur grande majorité, sans que cela garantisse pour autant l’efficacité des services proposés. Le problème se corse là aussi du fait du très grand nombre d’auteurs indépendants qui s’y inscrivent et sont aux plate-formes ce que l’envoi de manuscrits est aux éditeurs.

Vient ensuite la distribution. Un pieu, plus qu’une écharde, dès lors que l’on ne fait pas partie du circuit officiel : maison d’édition – distributeurs (ceux-là ne prennent aucun risque, et que le livre se vende ou pas, ils prélèvent de toute façon la plus grosse part du gâteau) – librairies : du centre commercial qui tire son épingle du jeu en suivant les prescriptions médiatiques qui seront plébiscités par un lectorat formaté aux libraires passionnés qui rament au milieu de ce naufrage, avant de fermer boutique, pour la plupart .

Deux remarques à ce sujet, ou plutôt trois. En France, contrairement aux pays anglo-saxons où écrire est considéré comme une profession, les agents littéraires sont rares. Ceux que j’ai contacté (quatre) m’ont tous répondu la même chose. « On ne s’occupe que des auteurs à succès et dans le but de négocier leur traduction .  » Ensuite, contrairement à la Suisse, il n’existe pas de distributeur pour les auteurs indépendants. Leur réponse est sans nuance (expérimentée au Salon du livre 2016) : du haussement d’épaule pressé au « niet » péremptoire en passant par le sourire ironique : « j‘ai autre chose à foutre.. ». Enfin, les libraires : rares sont celles et ceux également qui acceptent de faire figurer sur leurs rayons les auteurs indépendants. Motifs évoqués : votre manque de visibilité (en général, ils ne regardent même pas votre bouquin), coût de gestion (rentrer un exemplaire d’un quidam demande du temps, et donc de l’argent), et plus drastique : « ce n’est pas dans ma politique de vente, on a déjà assez de retours ou d’invendus avec ceux que les grandes maisons d’édition nous impose. »

Sur le Net, de nombreux groupes sont ouverts aux auteurs indépendants. On s’y retrouve comme au café du commerce. Toujours les mêmes. Un entre soi qui tourne à l’auto-promotion forcenée où l’on s’intéresse peu à ce que l’autre fait, où la guerre des ego transforme bien des groupes en gabegie qui changent alors leur statut de public à secret, avant de disparaître. La chronique positive y est omniprésente. Elles tournent toutes pour la plupart autour de la même soupe (ce qui est aussi le fait de bien de chroniqueurs littéraires de la presse officielle) : on raconte le pitch, on met deux citations, trois compliments lénifiants qui tournent souvent au copier-coller. La chronique négative est l’omerta. Dire que l’on n’aime pas un livre, tout en expliquant ce qu’on lui trouve de bien et ce qu’il faudrait améliorer, est très mal perçu, pour ne pas dire prohibé au risque que le téméraire reçoive en échange un bouquet d’insultes plus ou moins soft. Bref, un autre panier de crabes où l’auteur ne risque pas de grandir. Quant aux commentaires des lecteurs, si les uns sont spontanés, les autres s’obtiennent au forceps avec de multiples demandes, prières ou supplications en place publique !

Aucune solution n’est parfaite. Parfois, je m’interroge : vaut-il mieux appartenir à un système qui somme toute demande beaucoup de temps et d’énergie pour de piètres résultats ou faire cavalier seul ? Je ne parle pas de reconnaissance de soi (qui disparaît plus ou moins à longue échéance, soit parce que l’on vous oublie, soit parce que l’on meurt) mais de la pérennité d’un livre. D’autres fois, souvent même, je finis par me dire : ce qui sera, sera…

© L’Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott –06/01/ 2018
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