Surface, Olivier Norek

Le dernier Norek, Surface, portée aux nues avant même sa publication, vaut-il cet hommage péremptoire ? Qualifié de meilleur polar 2019. Encensé par la plupart des chroniqueurs littéraires médiatiques et autres blogueurs.

Tous les ingrédients classiques sont là pour faire prendre la mayonnaise :

– Un flic tragique, cette fois-ci une femme, Noémie Chastain, talentueuse capitaine de la PJ – ex 36 quai des orfèvres – à la brigade des stups, au caractère professionnellement en acier trempé, avec ses fêlures intimes, son besoin d’être aimée et reconnue dans sa féminité.

– La cohésion apparente d’une équipe, avec ses coups durs qui la soude ou la font éclater – dans ce cas, le visage de Noémie Chastain dévasté par le flingue d’un dealer. Entre les très rares qui la soutiennent et ceux qui, incapables d’assumer la vision horrifique de sa « gueule cassée », désormais, elle fout les chocottes. A son compagnon, flic lui aussi, qui se barre sans rien dire. A sa hiérarchie qui voit désormais en elle le témoignage cafardeux et traumatisant de ce qui peut arriver à n’importe quel flic. « L’enfer reste toujours le regard que les autres portent sur nous. Comme un jugement. Le regard qui nous examine, celui qui nous empêche d’oser, celui qui nous freine, celui qui nous peine, celui qui nous fait nous aimer ou nous détester ». Pas question donc de la réintégrer. On s’en fout de ce qu’elle pense, de ce qu’elle ressent et de son mental en vrac, miné par un stress post-traumatique. Les dépenses publiques n’en pouvant plus de dépenser un pognon de dingue et les restrictions budgétaires étant à l’ordre du jour, direction Decazeville département de l’Aveyron. « On ferme un commissariat (…) allez là-bas, regardez-les bosser, faites un point de l’activité criminelle et dites-nous si leur service doit fermer ou non. On est en pleine restrictions budgétaires au ministère, et puisqu’il y a aussi une gendarmerie sur place, l’Intérieur aimerait qu’elle prenne la main. Alors est-ce le village le plus tranquille de France ou sont-ce les flics les plus incompétents du pays ? Ce sera à vous de nous le dire. »

Entre la retraite anticipée et cette mise au vert forcée, Noémie Chastain choisit la seconde option, avec en toile de fond, comme un trait d’union entre les deux, l’opposition subjective entre présent et passé et entre France urbaine et rurale.

Le nœud gordien de l’intrigue, un cold case provincial, se résume en une phrase : « A remuer la merde, un jour ou l’autre, elle refait surface. » Un barrage, un village enfoui sous la flotte, leurs habitants relogés dans son clone sans mémoire, baptisé du même nom que celui qu’ils ont dû abandonner, Avalone avec son cimetière originel, reconstruit tombe par tombe. Un fût qui dérive sur le lac d’Avalone. A l’intérieur, le squelette d’un enfant mystérieusement disparu vingt cinq ans plus tôt, en même temps que deux autres enfants. Deux garçons et une fille. Un drame qui avait tétanisé la population, nourrit les cabales et les haines, avant de se transformer doucement en souvenir fossile, du moins pour les protagonistes de cette tragédie qui se sont envasés dans un silence confus et addictif. A cela s’ajoute les divagations prophétiques d’une vieille femme qui erre obstinément dans les collines environnantes. Décor planté, l’enquête peut commencer avec les moyens du bord : « Écoutez, à Paris, vous êtes adeptes du tout-scientifique. Empreintes, caméras de surveillance, écoutes téléphoniques, géolocalisations, drones, ADN ou encore balistique. On n’est moins dans un service de police que dans un laboratoire. Tout cela parce que vous ne savez rien, ni des auteurs, ni des victimes. Alors vous cherchez ailleurs, forcément. Ici, nous commençons toujours par l’humain, parce que nous le connaissons. Lorsqu’on interpelle une personne, c’est souvent un voisin, parfois même un cousin ou un oncle, mais presque toujours quelqu’un que l’on côtoie. Nous connaissons ses habitudes, son entourage, ses secrets, sa voiture, son adresse, son amour de jeunesse, quel antagonisme l’oppose à quelle famille et pourquoi.

Et c’est bien dans cette opposition binaire que le bât blesse dans le bouquin de Norek, hormis la conclusion de l’enquête trop prévisible autant que noueuse pour ne pas écorner sa crédibilité. Faire croire que l’humain est justement plus humain à la campagne que dans une ville où tout est noyé dans une masse grouillante stockée dans des cages à lapin, soumise à tous les maux inhérents à l’espace urbain, de la promiscuité à la solitude. C’est faire omission qu’à Avalone, comme dans la grande majorité des petites villes et villages, il y a comme partout sur notre territoire, des clans. Toujours la même répartition, entre ceux qui ont le fric et le pouvoir, ceux qui ont un peu de fric et pas de pouvoir, que ce soit pour motifs personnels ou autres, et les autres, les pauvres qui n’ont rien et les « pièces rapportées » à la communauté, accablés de toutes les suspicions de voisinage au premier mauvais vent. Somme toute, le même maillage que dans une ville, sauf qu’il est plus visible. Cette constatation vaut aussi pour la corruption, qu’elle soit à l’échelle nationale ou locale. Elle est. Diluée comme partout entre intérêts carrièristes et petits arrangements entre amis jusqu’à la coercition et abus de pouvoir.

Bref, nous vendre le poulet qu’à la campagne tout est plus simple et plus gérable, de proximité en apparence plus sympathique, puisqu’à taille humaine. Un leurre… Les impressions champêtres, la douceur de vivre, les sentiments collatéraux quelque peu bisounours… Noémie, rebaptisée No, qui, un mec idyllique en chassant un précédent lamentable, toutes plaies pansées, retrouve l’amour en à peine quelques semaines.

Dans Surface, tout est trop vertueux, trop lisse, trop prévisible et trop Happy End… On regrette la pugnacité du Norek engagé qui s’exprime dans Code 93 ou dans Entre deux Mondes. A trop être attendu, Norek finit par ne plus surprendre.

 

© L’Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott  – 22/04/2019
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