L’abaya…. Lettre à Mathieu Bock-Coté

Tout d’abord, permettez-moi en préambule de vous remercier pour l’ensemble de vos chroniques sur Face à l’info. J’en apprécie votre souci de rigueur et de nuances. 

L’abaya asphyxie actuellement l’espace médiatique, dissimule au nom des valeurs de la République, ce sempiternel paillasson du discours politique actuel, le jeu de la com’ du tandem Attal-Macron (qui se veut aussi ministre de l’Education), et qui permet surtout d’occulter non seulement les graves problèmes qui minent notre pays, mais aussi, malheureusement le manque de professeurs et le bordel de la rentrée.

Même si c’est votre job de parler de l’actualité, lors de votre dernière chronique sur l’abaya – qui je suis d’accord, n’a pas à s’afficher dans l’espace laïque de l’éducation, mais que les fanfaronnades molles du gouvernement n’arriveront pas à renvoyer définitivement au placard -, vous m’avez plombé l’indulgence. Curieusement, votre intellectualisme est soudain devenu light. Certes, vous avez abondamment parlé avec raison de cet Islam inquisitorial, à savoir cette frange de l’Islam qui veut installer dans notre société, son idéologie, les lois qui la cimente, la charia, et en imposer ses signes ostentatoires de la Halal way of life, dont l’abaya, dans nos établissements scolaires. Mais ce qui me gêne, mon cher Mathieu, est que vous vous exprimez copieusement au sujet de la femme musulmane et de cet Islam avec ses hidjads, niqabs, tchadors, burquas et autres abayas qui invisibilisent idéologiquement ses femmes, tout en faisant l’impasse sur le christianisme qui a été autrement plus hégémonique avec son imagerie entre la Vierge Marie et Marie Madeleine, la mère et la pute et son Inquisition qui a cramé vives des milliers de femmes.

Oui je sais… ça fait chier !

Car malgré notre démocratie ancienne, malgré la Révolution française, malgré que nous ayons supposément le monopole des grands intellectuels qui sont étudiés dans le monde entier, dont la majorité d’ailleurs, je vous le rappelle, était et est cyniquement misogyne de Voltaire à De Gaulle, en passant par Victor Hugo, Céline, André Suarès ou encore Picasso, la Femme, en l’occurrence la femme française, est aussi sous abaya.

Or, dans une société moderne comme la nôtre, septième puissance du monde (depuis 2022), avec ses universités, ses grandes écoles, son Collège de France et ses bibliothèques, un pays où l’on se plaît à dire que l’Esprit, avec un E majuscule, n’arrête pas de briller depuis des lustres et où l’on dissèque le monde d’un point de vue philosophique, théologique, psychologique, sémantique, machins et trucs, la femme, les femmes, moi, nous sommes toutes également sous abaya. Vos mères, vos sœurs, vos filles, vos compagnes.

Qu’elle soit ou non musulmane, la femme en tant qu’animal – non pas de la SPA -, est encore et toujours assujettie à la SPF, Société Protectrice de la Femme, par essence sexe faible et sexuel, objet de désir ou de négation et de discrimination rampante, plus insidieuse que le racisme envers un Noir ou un Arabe, de confession musulmane ou non. Rien n’a changé pour elle. Ni ailleurs. Ni ici.

Oui je sais… ça fait chier !

– Quand pour les mêmes diplômes, et même parfois avec plus de compétences, pour le même job, nous touchons un salaire inférieur à celui de nos collègues masculins, avec en prime le harcèlement verbal et physique, n’est-ce pas une abaya ?
En 2023, les hommes restent rémunérés en moyenne 28,5 % de plus que les femmes. A poste et compétences égales, l’écart salarial est de 9 %. Et que dire du fameux plafond de verre qui nous condamne à ne jamais prendre la direction d’une grosse entreprise ?
– Quand arrivées à la retraite, comme ma grand-mère qui bossait en usine, on voit son mari qui travaillait dans la même usine, dans un poste similaire, toucher une retraite supérieure de 300€ à la sienne, n’est-ce-pas une abaya ?
– Quand on bosse dans l’ingrat comme faire le ménage, dans le service aux autres qui ne sont pas toujours de la tarte, au garde à vous des annuités exigées par des réformes et des lois qui n’en ont rien à cirer de notre réalité, n’est-ce pas une abaya ?
Sans même par
ler des enfants que nous mettons au monde, et vous le savez très bien, dans la grande majorité des cas, ce sont les femmes qui les éduquent, les soignent, les nourrissent, les habillent et j’en passe et des meilleures, tandis que la plupart des hommes vont boire un coup au bistrot ou dans leurs clubs élitistes, ou vont aux putes (parfois mineure), et refont le monde à leur sauce ?

Et dans ce vingt et unième siècle où la France se veut une start-up nation à la pointe du numérique et des nanotechnologies, que dire de ces cent-dix huit femmes tuées en 2022 par leurs compagnons ou leurs ex ? Combien sont victimes de sexisme ordinaire, qui va de l’insulte pure et dure, en passant par l’allusion porno, jusqu’à la main baladeuse ? Que dire des quelques cent mille femmes âgées de dix-huit à quatre-vingt ans qui ont été violées ou ont été victimes d’une tentative de viol en 2021 ? Combien d’entre elles sont jugées coupables plutôt que victimes, comme c’est arrivé dernièrement à une jeune femme du village voisin du mien : elle s’est entendue répondre dans le commissariat où elle déposait plainte que « c’était impossible qu’un homme ait envie de la violer, tant elle était grosse et donc, qu’elle l’avait cherché ! ». Toutes ces femmes qui ont moins d’importance que leurs bourreaux, n’est-ce pas une abaya ?

– Quand la plupart de nos institutions sont le fief de la masculinité, n’est-ce pas une abaya patriarcale ?

Nous avons tous nos abayas, nous souffrons tous de nos abayas. Intellectuelles, politiques, religieuses, sanitaires, collectives et individuelles. Le monde, notre monde actuel en est la preuve pitoyable et le témoin officieux. Elles sont toutes iniques, injustes, mais admises. Les vôtres, cher Mathieu, celles faconnées par le monde masculin, comme un post-it collé à nos fesses, sont toujours justifiées par… Celles que subissent les femmes, sont toujours ostracisées, quand non moralisées.

Je n’arrive pas à comprendre pourquoi ce parallèle vous échappe au point d’en faire l’impasse. J’apprécie ce que vous dites, mais là, vous me provoquez un prurit ! Où mettez-vous donc le curseur de votre honnêteté dans cette affaire d’abaya ?

Certes, vous avez raison de parler de l’intégrisme d’une minorité islamique, que nous avons laissé venir quand même. Je répète : que nous avons laissé venir quand même ! Que nous avons aussi appelé de tous nos vœux pour faire les boulots que les Français ne voulaient pas ou ne veulent plus faire. Nous les avons logés, blanchis, nourris, manipulés et exploités. L’Etat Français, au nom des Droits de l’Homme, leur a ouvert ses hottes bourrées d’hypocrisie en leur vendant le mirage de la démocratie et de l’économie heureuse. Les migrants ont aussi leur abayas. Perte de repères, faim, saleté, misère affective et sexuelle. Qui en parle ? Qui y pense ? Bien peu. Quasiment personne et surtout pas le politique qui se shoote aux palabres, aux grands effets de manche et aux rustines opportunistes.

Oui je sais… ça fait chier !

Pourquoi n’abordez-vous pas, voire jamais ou quasiment, que nous avons eu notre propre Inquisition en la personne du Christ rédempteur et de la religion chrétienne, un tantinet castratrice et également hégémonique, si ce n’est plus, que toutes les autres religions, qu’elles soient monothéistes ou non ? Masculines, masculines. Toujours et seulement masculines. Qu’on l’admette ou pas !

Je ne doute pas un instant que vous savez très bien de quoi je parle. Un exemple : Jésus, le christianisme, les marchands, le capitalisme… Tout ce petit monde s’est acoquiné pour conquérir la Terre. Le christianisme s’est étendu sur les cinq continents à partir de l’Empire romain. Au passage, il a planté des vignes, construit des monastères, le Google de l’époque. Il a formaté ses prosélytes chargés de porter son message, d’installer ses règles et de dénoncer les apostats, autres formes d’entrisme, non ? Il a échangé – sourions – hier des croix contre des pistaches, des croix contre des noix de coco, des croix contre des épices et aujourd’hui, on est d’accord ! contre de l’or, des diamants, du pétrole – la croix, une formidable foreuse ! – des armes, du fric et aussi… des camps de réfugiés. Partout où nous avons planté nos étendards, on a niqué la civilisation et massacré les peuples pour imposer notre croix et nos abayas.

Vous qui êtes en général si prudent, qui usez de modalités, et merci pour vos chroniques, merci à Christine Kelly et aux autres chroniqueurs, c’est même la seule putain d’émission politique que j’écoute… Je ne comprends pas votre pudibonderie culturelle. Je connais bien l’histoire des mondes féminins, du féminisme, des religions, entre beaucoup d’autres choses.

L’oppression féminine ? Je n’y crois pas. La femme n’en est pas innocente. Qu’elle soit musulmane, juive, chrétienne ou athée, noire, blanche, jaune ou verte, elle y collabore. Je ne crois pas non plus que ce soit uniquement le fait de l’homme. Mais Mathieu, vous avez la prétention dans cette émission de faire des chroniques justes ! Vous le répétez souvent. Mais là, sur l’abaya, vous nous avez vendu le poulet. C’est un peu malhonnête, non ? Parce que si on parle de l’intégrisme des inquisiteurs islamiques en qamis qui menacent notre société avec leur absolutisme rétrograde, permettez-moi de vous faire remarquer et d’insister là-dessus que ce sont des petits rigolos à côté de nous. Nous fûmes et sommes encore des champions en la matière. Dans nos sociétés occidentales, l’oppression de la femme est tellement bien organisée qu’elle est acceptée. Normalisée ! En France, je le répète, septième puissance du monde ! J’ai des milliers de livres dans ma bibliothèque. Si les femmes avaient bénéficié des mêmes droits que les hommes et suintait de tous ces ouvrages, je le saurais !

Je suis consciente que vous ne pouvez pas parler de tout, malgré votre haut débit d’orateur (sourire), mais enfin une petite mise au point entre une chose et l’autre aurait été opportune. J’ai eu la chance d’acquérir cette valeur essentielle : là où quiconque, nation ou individu, ne défend pas la femme, ne fais jamais confiance. Pour Gandhi, c’était les animaux !

L’abaya, cette longue robe islamique dont le but, hormis son rôle purement vestimentaire, est de « dissimuler au maximum les formes du corps ainsi que sa beauté » instrumentalise le corps de la femme musulmane pour le rendre nul et non avenu. Même si cela n’empêche pas la chirurgie esthétique et les soins de beauté de se planquer sous les burquas, cet endoctrinement arabo-musulman d’aujourd’hui est carrément archaïque, comparé aux couvertures de Vogue et autres magazines féminins. Les femmes y sont photoshoppées pour les rendre, au contraire, désirables et désirées. Un fantasme archétypal du corps féminin sans vergetures, sans cellulite, sans acné, sans rides qui n’a rien à voir avec celui de millions de femmes !  Il me suffit d’aller à la sortie de l’école de mon village pour le constater des dizaines de fois. N’est-ce pas là une abaya subtile ?

Oui je sais… ça fait chier !

Pour feindre une histoire à la Mullah Nasruddin, imaginez trois objets : un clou, une planche et un marteau. Si vous ne prenez en main que le clou et la planche, enfoncer le premier dans le second, à moins que vous n’utilisiez vos doigts, s’avère impossible. Le clou est l’abaya. La planche, l’Islam. Le marteau, la Femme, toutes les femmes, toutes ces femmes françaises.
Un petit mot sur le marteau aurait été le bienvenu, non ?

Oui je sais… ça fait chier !

 

© L’Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott –05/09//2023 .
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Dessins de El Roto, de Manel Fontdevilla et de Plantu (paru dans le Monde le 18/12/2003 – déjà !).

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