Booknseries, un concept éditorial original

En s’appuyant sur l’essor du numérique, Booknseries offre un concept éditorial original et publie des romans d’auteurs indépendants sous forme de feuilletons, genre littéraire qui triompha au XIXème siècle dans la presse écrite. Le site propose aux lecteurs de rencontrer les auteurs de façon ludique. Images, teaser, musique, articles, interviews fictionnelles des personnages… autant d’outils que permet l’édition numérique.
Ni éditeur, ni diffuseur, ni libraire, ni webzine, Booknseries est une alternative novatrice à mi-chemin entre le travail d’agent littéraire et la passion d’une femme, Laure Lapègue, pour la littérature.

Comment définiriez-vous le concept de Booknseries ?
C’est un site de publication et de promotion d’auteurs indépendants, qui rassemble deux communautés. Des serial-lecteurs curieux de sortir des sentiers battus et de découvrir en ligne de nouveaux talents (un peu comme ils le feraient en poussant la porte d’une petite librairie). Et des serial-auteurs sélectionnés pour leur talent et promus par mes soins, pendant les 10 semaines de la publication de leur œuvre en épisodes. Chez Booknseries, la gratuité de la lecture a pour contrepartie l’assiduité des lecteurs et leur inscription sur le site.

Qu’est-ce qui vous a conduite à créer Booknseries ?
Eh bien l’idée est née en 2013 lors de l’écriture de mon second roman. J’ai alors commencé à regarder comment je pourrais le promouvoir via le net et … je n’ai rien trouvé ! De la distribution, oui. De l’impression, oui. Des arnaques aussi … Mais aucun endroit qui lise les auteurs indépendants, fasse le tri et les promeuve sur la toile. Aucune initiative collaborative qui mette face à face lecteurs et auteurs indépendants. Je suis quelqu’un de créatif, de manière générale, c’est donc assez naturellement que s’est imposée l’idée d’inventer ce lieu. Restaient à trouver une forme de lecture, un univers, un concept, un moyen de rassembler les auteurs et les lecteurs. J’avais déjà une solide expérience dans la communication et le marketing. Cette expérience et mon goût pour les séries se sont rencontrés et, six mois plus tard, Booknseries est né !

Quelle est son originalité par rapport aux autres plates-formes qui se proposent d’être une interface entre l’auteur indépendant et le lecteur ?
Booknseries est un OVNI et ce à plusieurs titres. Déjà, c’est le seul site qui propose une publication en épisodes hebdomadaires, qui plus est gratuite. Ensuite, c’est le seul site qui mette des lecteurs et des auteurs face à face. La plupart des sites de lecture sont des sites de lecteurs ou d’auteurs. C’est aussi le seul site qui lise les auteurs et s’attache à les promouvoir de façon individuelle et personnelle.

Les couleurs du site, noir et jaune, rappellent celles de la collection Série Noire de Gallimard. Tout ce qui ne relève pas du genre policier est exclus du développement futur de la plate-forme Booknseries ?
Non, Booknseries est marqué de l’empreinte du polar (notamment à cause du Prix du polar indé que j’ai co-créé avec thebookedition.com et dont je suis membre du jury depuis 2 ans), mais le site n’est pas fermé aux autres genres. Concernant les serial-auteurs sélectionnés, tout dépend de ce qu’ils écrivent. La publication en épisodes nécessite un certain suspense pour avoir du sens. Dès lors, s’il s’agit de romans, j’accepte 3 catégories d’œuvres : le suspense, les thrillers et le polar. Par contre, lorsqu’il s’agit de textes écrits sous forme de séries, j’accepte tous les genres. J’ai d’ailleurs récemment publié deux séries qui n’avaient rien à voir avec des polars. Enfin, je précise que le service de communication aux auteurs ouvert récemment sur le site est accessible à tous les auteurs, quels que soient leur univers et le genre de leurs écrits.

Le terme série renvoie à celui d’épisodes successifs. S’il existe un public pour ce genre lorsqu’il est télévisuel, pensez-vous que la tradition du feuilleton littéraire en cette époque enfiévrée par le zapping puisse séduire le lectorat, celui que vous définissez comme Serial Lecteur ? Un petit côté compulsif, non ?
Je pense que la lecture en série peut fonctionner en tant que telle sur un format court. J’ai d’ailleurs constaté une hausse de l’assiduité lors de la publication des séries et connais des séries très suivies sur le net. Concernant les romans, je pense que cette méthode de lecture est un excellent moyen de découverte. A mon sens, si on aime, on achète. C’est d’ailleurs pour cela qu’un lien d’achat figure à la fin de chaque épisode Booknseries. Pour moi, internet est au moins autant un outil promotionnel qu’un outil de vente.

Vous faites office de comité de lecture et de promoteur virtuel du livre d’un auteur indépendant pour qui vous avez eu un coup de cœur, livre que vous diffusez gratuitement pendant plusieurs semaines auprès des lecteurs inscrits sur votre site. En quoi votre activité se différencie-t-elle de celle d’un agent littéraire, même si les chemins empruntés ne sont pas strictement les mêmes ?
Eh bien parfois, je me pose effectivement la question ! On me qualifie souvent d’éditeur, d’agent. Je pense que je fais en partie ce travail effectivement parce que personne ne le fait en ligne. La profession d’éditeur est en pleine mutation en France… Mais en attendant que l’on me fasse rentrer dans une case, je préfère faire comme pour la création de mon site et inventer mon métier : je me suis donc baptisée « Prom’auteur ». Ma conviction est qu’une bonne partie des auteurs de demain auront un distributeur (Amazon ou autre), un agent conseiller promoteur, et resteront propriétaires de leurs droits : les services proposés actuellement par booknseries s’inscrivent dans cette tendance.

Quelles retombées réelles pour un auteur auto-édité, espèce actuellement et virtuellement en multiplication exponentielle, méprisée autant par l’édition traditionnelle que par une partie du public, l’autoédition étant – selon eux – un vivier de médiocrités ?
Il faut laisser le temps au temps. On ne révolutionne pas un establishment comme l’édition française en quelques années. Mais je crois que depuis un an, les choses bougent vraiment. Le rêve de se faire éditer par exemple, est moins omniprésent. Une partie des auteurs se professionnalise, se qualifie d’« indépendants » plutôt que d’auteurs autoédités. Je pense que le lecteur, quant à lui, s’en moque, tant qu’on lui présente bien les choses et qu’on ne se moque pas de lui en lui proposant des livres de qualité plus que variable dont il doit en plus faire la promo en leur attribuant des étoiles (ou non ) … mais toujours après les avoir payés. Il y a aujourd’hui une forte résistance des institutions, mais je pense que l’auteur indépendant sortira gagnant de tout cela. De toute façon, si l’ancien système continuait à survivre, on finirait par n’avoir plus que cinq bouquins par an disponibles en grande surface et en version numérique …

La lecture virtuelle, intégrale et gratuite d’un ouvrage booste-t-elle chez le lecteur l’envie d’acquérir effectivement ledit ouvrage, que ce soit en version numérique et en version papier ?
Oui, celui-là ou un autre du même auteur mais à condition qu’il s’agisse effectivement de lecture. Le problème de la plupart des systèmes de gratuité existants est qu’ils génèrent le téléchargement mais pas la lecture. Les lecteurs (qui d’ailleurs la plupart du temps n’en sont pas vraiment lorsqu’ils piratent ou téléchargent gratuitement à haute dose) engrangent les epub … et les auteurs attendent en se rongeant les ongles. La gratuité des livres en France est encore largement liée à une notion de qualité. La preuve : les epub des auteurs édités sont aussi chers que les versions papier. Dès lors, si un epub peu cher est parfois considéré comme « moins bon », je peux vous assurer qu’un epub gratuit le sera par tous ceux qui ne connaissent pas l’auteur. C’est pourquoi à mon sens la gratuité doit, comme c’est le cas sur booknseries, impliquer en contrepartie l’assurance d’avoir affaire à un vrai lecteur et l’impossibilité de télécharger l’œuvre dans sa totalité.

Une pléthore de plates-formes offre des services multicartes aux auteurs indépendants, dont certains à des coûts exorbitants (allant par exemple du paiement pour l’obtention d’un ISBN – qui est délivré gratuitement sur demande – à un service chiffré à 600 € pour présenter un manuscrit abouti à deux éditeurs, sans garantie d’acceptation de leur part, alors qu’un agent littéraire est rémunéré sur les droits d’auteur). Booknseries propose désormais un service payant de communication en ligne pour les auteurs. En quoi consiste ce service ?
Il consiste à proposer aux auteurs qui le souhaitent un support pour la mise en place de leur promotion. A leur apprendre comment organiser leur communication pour rencontrer leurs lecteurs. Aujourd’hui, la plupart des auteurs sont distribués sur une plate-forme, ont une page Facebook personnelle et un blog qui vivote. Et même s’ils en font davantage, ils ont souvent bien du mal à savoir sur quoi ils doivent communiquer en tant qu’auteur pour être lus ! Mes connaissances en communication numérique, mon expérience du monde de l’édition et mes relations avec les auteurs indépendants (dont je fais partie !) m’ont permis d’identifier les principaux besoins des auteurs en matière de communication.
Ces derniers s’articulent autour de trois grands sujets. L’identification de leurs thèmes d’auteurs et par conséquent des sujets véhiculés par leurs pages web et réseaux sociaux. La création de contenus cohérents et impactants dédiés à leurs pages. Et enfin, leur capacité (temps et compétences) à gérer cette communication en ligne. Les services proposés par booknseries sont adaptés à chaque auteur, à sa réalité et à ses ambitions. Le besoin est formalisé sous forme de packs mais l’approche ne peut être que personnelle, individuelle, pour être efficace dans la durée. Mon objectif est que la communication s’intègre dans une approche globale, qu’elle l’aide à avancer avec plaisir dans son écriture et dans sa carrière … pas qu’elle soit une contrainte ou un mal nécessaire.

L’édition française traditionnelle constitue « un club très fermé », appartenant souvent à de grands groupes de presse étrangers cotés en Bourse. D’autre part, les diffuseurs qui ne prennent aucun risque puisqu’ils sont payés, que le livre se vende ou pas, mettent souvent dans une situation de surendettement bien des éditeurs. Nécessité leur est faite de publier nouveauté sur nouveauté pour éponger les dettes, de faire du chiffre au détriment des auteurs qu’ils promeuvent et vendent au matraquage. La quantité plutôt que la qualité ! En quoi l’édition indépendante vous séduit-elle puisque quel que soit celui qui vous édite et comment, un livre ne se vend malheureusement que si l’on en parle ?
Je ne prêche pas pour l’édition indépendante. Mais, tout comme vous, je constate que le livre souffre d’un manque de promotion adapté. Or dans le cas de l’édition classique, un auteur se voit, en plus de ne pas vendre, privé de ses droits pendant des années (puisque la publication numérique ne demande aucun effort et permet au contrat de se prolonger ad vitam aeternam). Dans un tel contexte, si les grands éditeurs me sont inaccessibles, je préfère alors garder mes droits et contribuer à faire bouger le monde de l’édition en restant autoédité.

Croyez-vous en l’avenir de l’édition indépendante numérique qui, bien que timide en France, bouleverse les circuits de diffusion traditionnels ?
Tout comme l’industrie du disque mais plus difficilement, l’édition deviendra aussi numérique. Il faudra, comme pour toute révolution, que le public l’impose par ses habitudes de lecture et que quelques vieux hommes importants sortent du paysage.

Comment inscrivez-vous le développement futur de Booknseries dans le paysage éditorial ? Quels sont vos projets ?
Je ne veux pas tout dévoiler, mais j’espère contribuer à un certain renouveau de l’édition. Le livre est un loisir culturel comme un autre. Il faut le préserver en prenant en compte la réalité du monde qui nous entoure. Si nous voulons que nos enfants continuent à lire, il faut rendre la lecture accessible au plus grand nombre, la désacraliser mais aussi en préserver la qualité et la diversité. Vous allez me prendre pour une folle mais j’ai cette ambition.

booknseries, Laure Lapègue

Site web
http://www.booknseries.fr/le-blog-des-serial-lecteurs/
Laure Lapègue

 

L’Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott  – 30/07/2016
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Publié précédemment le 21/04/2016 sur Pluton Magazine

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2 Comments

  1. Le concept n’a rien de nouveau du tout : Les webseries littéraires – nom de l’époque – ont eu une grosse période dorée sur internet. Rappelons le WSN, Pancake Tv, Werewolf Studios ou Neows qui se voulaient être une « chaîne virtuelle » avec exactement le meme concept entièrement gratuit.

    De nombreuses plateformes de publication sont encore dans cette optique de publication entièrement gratuite avec bonus virtuels publication épisodique et qualité éditoriale. Que ca soit l’Attelage ou encore l’Allée des Conteurs qui sont des lieux déjà établis dans le paysage avec une volonté de la gratuité et du contenu de qualité.

    Le concept reste intéressant mais je suis quand même d’avis de dire que ce n’est pas la seule alternative sur le net a vouloir rassembler auteurs et lecteurs autour d’un site de la sorte.

    1. Bonjour
      Merci pour votre commentaire pour lequel il aurait été sympa de vous présenter.
      Ce n’est sans doute pas la seule alternative, mais chacune a son créneau comme les deux
      plateformes que vous citez (qui fonctionnent différemment néanmoins), Booknseries étant
      tournée vers le polar.

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