La Dictatrice… C’est l’histoire d’une femme qui devient dictateur. Un terme d’une connotation genrée plus crue que son féminin. La même nuance que l’on retrouve entre collaborateur et collaboratrice. Le premier renvoie aux Frenchies pas très clairs d’hier, trouillards, opportunistes et revanchards, shootés à l’anti tout azimut, semblables à ceux qui s’égaillent actuellement dans nos rues. La seconde s’apparie à l’attention dévouée de celle qui corrige les erreurs de son mâle de chef, ordonne son agenda, lui sert le café et plus si affinités sous la ceinture. Du #metoo multicartes
D’emblée, il y a maldonne sur le casting ! Car Diane Ducret, l’auteur de ce roman, taille un costard prêt à porter et à penser à sa protagoniste, Aurore Henri, émaillant abondamment son récit de références historiques quant à la situation de l’entre-deux guerres et à son acteur mémoriel, son Fürher-star adulé des foules et boosté par des investisseurs étatiques et privés, de l’Allemagne aux États-Unis, en passant par l’aristocratie britannique, les élites coloniales des Indes et de l’Afrique, l’Italie, la France pétainiste, et j’en passe.
Même date de naissance donc pour notre héroïne que celle de son célèbre mentor, le 20 avril. Même initiales, A. H. Adolf Hitler / Aurore Henri. Mêmes lieux où se déroulent les événements précurseurs de la mise à feu et à sang planétaire, Munich, Marienplatz. Même temps d’incarcération, cinq ans. Pour le premier après un putsch raté, pour la seconde après un jet de pierre. Même traumatisme par abandon.
Soulignons au passage que cette pléthore de références au nazisme, aux Chemises brunes et à une propagande dont la mise en scène narrative fait songer à Leni Riefenstahl, tout comme le road-trip en Europe, style guide du Routard pour gens friqués, en berline haut de gamme, ou encore le récit dithyrambique des rêves récurrents de papillons qui hantent le sommeil d’Aurore Henri, finissent par plomber la lecture. Ajoutez à cela, les réflexions des uns et des autres, inclus de la protagoniste, qui oscillent entre les blablas idéologiques contemporains, les polémiques stériles et une pléthore de discours pontifiants qui nous donnent la sensation d’être des demeurés mentaux… Bref tout ce dont nous gavent ad nauseam nos élites dont les propos sont repris en boucle par la presse mainstream, jusqu’aux commentaires, vindicatifs ou vengeurs, du peuple, toujours prompt à dresser la guillotine et à faire des brochettes avec les têtes de celles et ceux qu’ils ont élus.
Pour en revenir à notre fasciste humaniste, en ce 8 novembre 2023, massée sur Marienplatz, une foule – où bizarrement il n’y a que des hommes -, attend, frémissante de colère et de désarroi, le verdict de ses dirigeants, maîtres et gestionnaires de leur devenir. L’agitation, autant celle des manifestants que des forces de l’ordre, s’enfle au gré de l’incertitude. Juchée sur un banc, Aurore Henri qui a « trempé la plume dans le sang pour témoigner des maux de son temps, au Darfour, en Crimée ou en Irak.», appelle à « se dresser contre les ennemis de la démocratie. » Les téléphones portables crépitent. Elle vient de faire son coming out sur les réseaux sociaux.
Cette jeune femme décidée, au prime abord sympathique, fait preuve d’une lucidité, qui n’est pas sans rappeler celle qu’Ulrike Meinhof affichait dans ses articles et qui écrivit, lorsqu’elle officiait encore comme une journaliste reconnue et appréciée par ses pairs, : « protester, c’est dire : je n’accepte plus cela. Résister, c’est faire en sorte que plus personne ne l’accepte…. Qui ne s’arme pas meurt, qui ne meurt pas est enterré vivant dans les prisons, les maisons de rééducation, dans le sinistre béton des tours résidentielles. » Du terrorisme à la dictature, la frontière est mince. Et cette ressemblance ciblée entre les deux femmes, patente.
Le démantèlement de l’Union européenne, l’annulation des traités, blanc-seing de tous les petits arrangements entre amis, est annoncée par une brochette de politiciens pétochards, tous membres du G27, alignés sur une estrade, comme des condamnés en sursis avant l’exécution. Dans ce scénario revisité contemporain sur Marienplatz, plutôt que les balles des followers putschistes d’Adolf, une pierre, dont l’auteur Diane Ducret nous gratifie d’une métaphore infantile, fera office de catalyseur.
Aurore Henri la jette avec une force décuplée. Elle atteint l’arcade sourcilière du Premier Ministre. Il s’effondre. La foule implose. Aurore s’enfuit emportant avec elle l’écharpe rouge (référence à la Liste de Schindler ?) « d’une petite fille, sur les épaules de son père, battu par les services de sécurité, tombée au sol, certainement morte piétinée par la foule et la bêtise. », en se promettant de « toujours regarder cette écharpe quand je trouverai mon sort difficile, en signe de la fragilité de ce qu’on appelle la paix. »
Commence alors l’odyssée iconique d’Aurore Henri qui la mènera au pouvoir et à son corollaire, assez fréquent, la schizophrénie, adoubée par sa folie des grandeurs. On aime parfois, c’est plus soft, se convaincre que la passion du pouvoir anime sincèrement celui ou celle qui le brigue, parfois dès l’enfance, tout en zappant fréquemment que sa quête peut être le fruit d’un traumatisme intime, et par conséquent, confiner à la pathologie.
Ainsi et bien qu’elle s’en défende face au Dr. Foster, expert psychiatre auprès des tribunaux, Aurore Henri souffre d’un trouble par abandon, qui se manifeste par l’obsession pérenne de retrouver celle qui l’a abandonnée à sa naissance, avec pour indice une phrase énigmatique : «Pillangók már elrepültek. Les papillons se sont déjà tous envolés. » Hantise qui la conduira à torturer les personnes susceptibles de lui fournir une piste.
Par contre, on feint d’oublier, c’est plus confortable, que le berger n’est rien sans le troupeau. Pour qu’il y ait pouvoir, quel que soit le suffixe « isme » qu’il revendique, obligation lui est faite d’être boosté par l’impérieux besoin populaire d’une figure charismatique à idolâtrer. C’est le peuple qui engendre ses propres dictateurs. Ils n’apparaissent que dans un peuple qui a la volonté, et surtout le désir, d’en avoir un.
Elle sort de prison en 2029. La quarantaine amochée, le ventre stérile. Elle ne sera jamais mère d’un seul, mais désormais celle de tous, « résolue à donner toute son attention et son ardeur à ces anonymes. », qui confèrent un sens à sa vie. Il fait un froid polaire, partout le peuple crève de faim, l’insécurité règne, la banqueroute est générale. Sociale, sanitaire, agraire, industrielle et environnementale. Le monde a un besoin urgent d’un leader envoûtant. Elle tombe à pic pour les élites financières, politiques et médiatiques qui continuent à s’empiffrer de caviar et à boire du champagne, bien au chaud dans leurs luxueuses résidences. Comme le peuple, ils sont prêts à se sacrifier pour cette égérie messianique, mais pas sur le même autel. Eux, ils disposent des « moyens de ses ambitions » et font de grands projets pour elle. N’est-elle pas « leur meilleur atout pour ramener la stabilité en Europe. » où ils ont « leurs fortunes, leurs investissements, leurs usines. » Cela ne vous évoque rien ? Au départ, Aurore Henri n’était pas grand-chose, une agitatrice, une passe-muraille. La voilà devenue la Pythie de tous les ratés, riches comme pauvres. La voilà financée, coachée, relookée, formatée, montée en biopic éditorial, conseillée et manipulée par des experts sans scrupule. Habiles en investissements humains, ils misent sur un cheval, qui a pour nom Aurore.
Au début, ce n’est pas trop son truc. Elle proteste, faiblement il est vrai, mais se laisse rapidement convaincre, grisée par l’apparat. Peu à peu, opportunisme aidant, elle apprend à dissimuler ses ambitions et se révèle être une redoutable manœuvrière, écologiste polluée par la mégalomanie
Quelques tours de roue supplémentaires, une autopromotion forcenée, une vision monolithique – une seule humanité, une seule terre, une seule vie – et la voilà élue chancelière de la Nouvelle Europe le 30 janvier 2033, tout comme le petit peintre sans talent le devint le même jour, en 1933.
Certain que cette Dictatrice a dû faire bondir les féministes, d’autant plus qu’elle n’hésite pas à ouvrir ses cuisses à une pénétration digitale par le « Maître de l’Est » – dont la ressemblance avec Poutine laisse peu de doute – afin « qu’il rouvre les vannes du gaz russe en Europe. » Le deal se terminera par une fellation, exécutée par l’apprentie dictatrice, radieuse. La révélation de son désir sexuel ancre dans son intimité le reflet cataclysmique de son puissant désir de domination et son goût pour le pouvoir absolu dont elle veut maîtriser et ancrer le cap, toutes directions confondues sur un même horizon.
Un attentat organisé par son cynique amant, mais fin psychologue et analyste pointu des enjeux du monde, l’y aidera : « Ne me remercie pas, lui dit le maître de l’Est. Je t’ai donné ce qu’il te manquait. Tu as souffert avec eux, ils ont eu peur pour toi. Désormais, ils vont t’adorer. La démocratie, cela n’est pas fait pour toi, je l’ai tout de suite senti. Je sais ce qui te fait jouir, l’as-tu oublié ? Tu peux essayer de croire que cela n’était qu’un accident, mais tu sais que cela n’est pas vrai. C’est ton essence, ce que tu es. Tu n’es pas une belle fleur, tu es une mandragore. Tu te débarrasses de toute espèce qui t’empêche de pousser. Maintenant, tu as une bonne raison de décréter l’état d’urgence et de prendre les pleins pouvoirs.
A quoi tient l’état du monde ? A une opportune séance de cul ? On a beau se dire que « non, ce n’est pas envisageable ! » On sait pourtant que c’est tout à fait possible. Et me vient à l’esprit, l’image surréaliste et grotesque des plus salaces de nos politiciens, démocrates ou dictateurs, en train de se faire pomper, tout en jouant à pile ou face avec les clefs de leur mallette nucléaire !
Certain également que cette Dictatrice a dû faire se pâmer les biens-pensants, bienveillants bobologiques, bercés par l’idée qu’une femme au pouvoir accomplirait des prouesses de sagesse et de sincérité, là où son homologue masculin, enfile mensonges, dérobades et compromis. Pourtant, l’Histoire ne manque pas de sanglantes pasionaria ! Messaline, surnommée la Putain impériale, laissait sa libido dicter ses décisions. Un cocktail, le Bloody Mary, résume la reine Marie Stuart. La louve de France, Isabelle, épouse d’Edouard II d’Angleterre, fit exécuter sauvagement son mari homosexuel, en lui enfonçant un fer de plombier, chauffé au rouge, dans ses parties dites nobles, jusqu’à lui cramer les intestins. Catherine de Médicis, La Régente Noire, fit assassiner – dit-on – des milliers de protestants français. Plus près de nous, Ilse Koch, la chienne de Buchenwald, sous l’égide chevaleresque de son époux, directeur du camp, fit preuve d’une créativité barbare avec les prisonniers. Jian Qing, la femme de Mao, celle de Enver Hoxha – entre autres, la liste des Ladies infernales est longue – furent toutes deux responsables de dizaines de milliers d’arrestations et d’assassinats. Et puis, je n’oublie pas dans cette liste de monstres légaux et soutenus par le silence complice de leur peuple, Maggie, la Dame de fer, qui laissa mourir de faim sans état d’âme dix détenus républicains irlandais.
Dans le pire, la femme est bien l’égale de l’homme. Et non pas son avenir, comme le poétisait Aragon.
Outre une mise en garde à peine dissimulée contre l’extrême droite et l’intégrisme écologique, incarné dans la « vraie vie » par la jeune activiste suédoise Greta Thunberg, La Dictatrice se fait non seulement l’écho de la vacuité, de la médiocrité insondable et de la confusion de notre époque, mais explicite également comment se fabrique le pouvoir via le consentement des peuples. Et sa narration où l’émotion brille par son absence, voulue ou non par l’auteur, tout comme le manque d’empathie des différents personnages, branchés individualisme même au collectif, laisse augurer d’un monde aseptisé. Elle nous rappelle aussi que si tout en haut de la pyramide, peut veiller un monstre illuminé par une inhumanité totale, insensible aux atrocités qu’il inflige à ses semblables, tant il est convaincu de son idéologie foutraque, à l’instar d’Aurore et de son « eunomie » pervertie, il est aussi le porte-drapeau de toutes celles et ceux qui, par leur approbation placide ou leur fanatisme collaborateur, lui ouvrent une voie royale vers la barbarie. Hier à visage humain, elle est aujourd’hui plus invisible et se planque derrière les algorithmes et les réseaux sociaux, et surtout le Dark Net, constituant la police secrète de la pensée du millénaire en marche.
© L’Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott – 16/08/2020.
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La Dictatrice, Diane Ducret
Éditeur : Flammarion, (22/01/2020)
Bibliographie
Femmes de Dictateur 1, Perrin, 2011
Femmes de Dictateur 2, Perrin, 2012
Corpus Equi, Perrin, 2013
La Chair interdite, Albin Michel, 2014
Les Derniers Jours des dictateurs, ouvrage collectif, Pocket, 2014
L’homme idéal existe : il est québécois, Albin Michel, 2015
Lady Scarface, Perrin, 2016
Les Indésirables, Flammarion, 2017
La meilleure façon de marcher est celle du flamant rose, Flammarion, 2018