Les Petites filles de Julie Ewa. De quoi s’agit-il ? D’une aventure de Bisounours en Chine. L’ingérence civilisatrice a droit de territoire et de certificat de bonne conduite partout, d’autant plus si ses prescripteurs, depuis le fameux French Doctor, sont des humanitaires. Prosélytes d’un manichéisme moraliste de Blanc, avec des idées de Blanc qui n’ont jamais souffert de la pauvreté, de la faim, de la guerre ou d’une quelconque violence étatique, les Occidentaux sont intimement convaincus « d’être les bienfaiteurs de l’humanité ! Vous débarquez avec vos ONG, ironise non sans acuité l’inspecteur Rong Zhou, l’un des personnages du livre, et vous vous immiscez dans la vie des gens, sans leur demander leur avis. » Une arrogance qui parfois prend les couleurs du politique ou des institutions qui les financent.
Une jolie blonde, Lina, la narratrice, sinologue en herbe, est l’archétype fictionnel de cette hégémonie occidentale qui part si facilement en croisade contre la barbarie dont elle taxe tous les peuples qui n’épousent pas ses modes de vie et de penser. En France, Lina est Blouse rose auprès d’enfants gravement malades. Naïvement, on applaudit d’admiration. On se rétrécit de l’intérieur devant cette généreuse abnégation, avant de pousser un soupir de soulagement. De fait, cet engagement est égoïstement motivé par le « besoin de se détourner d’elle-même » et de donner du sens à sa vie que le suicide de sa mère a laissé en rade dans un traumatisme permanent, engagement qui « progressivement l’asphyxie ». Il lui faut alors « reprendre sa vie en main car son cœur tombe en morceaux… » Quoi de mieux pour se changer la vie, que de changer d’horizon ? Elle part donc en Chine, à Canton, pour y poursuivre ses études. On est en 2013. Chemin faisant, un responsable d’une ONG, Thomas, d’une ambigüité qui le situe entre un Robin des Bois fuyant ses propres zones d’ombre et une taupe au service du renseignement tout azimut, la convainc de jouer au détective intrépide dans un petit village, Mou Di, perdu dans un des paysages sublimes de la Chine rurale, là où le temps semble se ficher comme d’une guigne de ce qui se passe ailleurs. Les drames s’y jouent toujours à huis clos et si tout le monde sait de quels crimes, trahisons et corruptions, ils ont été faits, chacun se tait. Sun Yang, une jeune paysanne enceinte de huit mois, a disparu en 1991, peu de temps après la disparition de sa fille, Chi-Ni, âgée de six ans et de son amie Chen. Kidnappées, tuées ou vendues ? L’intrigue le révèlera au fur et à mesure que Lina dévide la pelote intemporelle de cette chronique villageoise qui alterne entre le présent et le passé. Une mémoire dont le moine bouddhiste Yao-Shi est le dépositaire.
L’histoire, quasi divertissante malgré son tragique, serait selon l’éditeur et quelques enthousiastes commentateurs remarquablement documentée ! Bien documentée pour qui ? Pour ceux qui ne savent rien ou presque de la Chine ? Pour les bobos en mal de sauvetage du monde ? Car c’est bien là où justement cette narration pèche par ambition et par défaut.
On s’étonne alors que le savoir, grâce à Internet, soit à la portée de multiples sources d’informations, que cette jeune femme qui étudie le chinois et par conséquent, du moins le suppose-t-on, la culture et l’histoire de ce pays, pousse des cris de vierge effarouchée à découvrir que la femme, depuis son premier cri jusqu’à son dernier souffle, soit considérée par l’ensemble de la société chinoise, riche ou pauvre, rurale ou urbaine, comme une quantité négligeable. Bonne à bosser, à la boucler et à engendrer des fils pour perpétuer la lignée familiale. Ce statut de la femme pourtant n’est nullement l’apanage de la Chine. A des degrés divers, il est commun pratiquement à tous les peuples et pays, qu’ils soient émergents ou dit civilisés et abondamment illustré dans l’actualité. Naître fille est encore une malédiction partout dans le monde. La maltraitance, le viol, les mariages forcés, l’exploitation matérielle et sexuelle, les infanticides, les avortements abusifs et les stérilisations forcées sont et furent, sous différentes formes, le lot coutumier des cinq continents. Rappelons qu’aujourd’hui, dans nombre de pays occidentaux, la situation des femmes est entachée de discriminations en tous genres. Rappelons également que la maternité est sortie du domaine de l’intime. Certes, l’infanticide est rare. Mais sa nouvelle version se fait technologique, s’ouvrant via la gestion programmée des utérus, sur la perspective par exemple de bébés sur mesure et autres manipulations génétiques eugénistes, sans parler du commerce des ventres, loués par qui a les moyens financiers à des mères porteuses qui, elles, en sont dépourvues !
Que la jeune Lina s’offusque du désir dans cette Chine de l’enfant unique où celui-ci doit être un mâle, condamnant les nouvelles-nées à l’infanticide, à l’abandon ou à être vendues pour alimenter, la corruption faisant rage tant au niveau de l’État que des individus, toutes sortes de trafics (main d’œuvre, sexe, organes, entre autres), est justifié. Qu’elle les badigeonne de sa morale de nantie, est une autre paire de manches. Faut-il lui rappeler que la politique de l’enfant unique en Chine (mais aussi en Corée, Albanie, Vietnam, Azerbaïdjan, Inde, etc…), avec toutes ses conséquences horribles1 dont parle l’écrivain chinois Ma Jian dans plusieurs de ses livres, a été encouragée dans les années 60-70 par des chercheurs et conseillers occidentaux et financée, entre autres, par Le Fonds des Nations unies pour la Population (UNFPA), la fédération internationale des plannings familiaux (IPPF), l’Agence américaine pour le développement international (USAID), la Banque mondiale et la fondation Rockefeller.2 De fait, à l’époque les institutions internationales voyaient dans la sélection des sexes privilégiant le garçon, une bonne méthode de contrôle démographique afin de lutter contre la surpopulation de la planète.
On s’étonne également que la narratrice se surprenne des méfaits de l’économie de marché tiers-mondiste, où la pauvreté la plus crade agonise aux pieds de quartiers scandaleusement riches et où la pollution délétère qui accompagne cette sur-industrialisation, tue aveuglément les uns comme les autres. Vivrait-elle à côté de la vie, sa réalité étant remplacée par les idées qu’elle en a ?
On s’étonne encore – elle qui « adore l’idée de visiter un orphelinat chinois » comme si elle allait au zoo – qu’elle se scandalise des enfants-ouvriers sous-payés mais surexploités. C’est vrai : « Lina avait déjà entendu parler de l’exploitation d’ouvriers dans certaines usines : Nike, Gap, Apple, Samsung… Les grandes marques occidentales confiaient la confection de leurs produits à des sous-traitants asiatiques qui offraient une main d’œuvre ridiculement bon marché… Obsédées par l’appât du gain, les grandes firmes fermaient parfois ( ?!) les yeux sur les esclavages d’enfants…[…]… De pauvres enfants arrachés à leurs familles, exploités dans de monstrueux poulaillers humains. » Mais elle n’en pianote pas moins sur son portable, peut-être un Smartphone, zappant allègrement le fait que si elle peut en jouir, c’est justement parce qu’elle collabore par son consumérisme d’indignée à ce que des individus, enfants ou non, soient ravalés au rang de simples outils de production.
L’explication qu’elle donne de cette Chine qui « lui donne envie de gerber » est absolument époustouflante au mieux d’ignorance tissée de préjugés, au pire formatée par le marketing du prêt-penser médiatique : « Le pays s’enrichissait à défaut de se démocratiser. Les Chinois avaient le goût du paradoxe…[…]… Pendant dix ans, les Chinois avaient enduré le spectacle des tortures en pleine rue. La cruauté des Gardes Rouges avait ankylosé les esprits et plonger la population dans la désillusion et l’insensibilité. Pourquoi aider les autres ? Les autres ne vous aideront jamais ! » Heureusement, qu’il y a les ONG, car « si elles baissaient les bras, qui resterait-il pour s’en soucier ? » Balayé d’une formule condescendante le travail anonyme des nombreuses personnes qui en Chine et ailleurs, s’impliquent pour aider les autres et combler les lacunes ou les désastres engendrés par des gouvernances incompétentes ou stupides. Pour exemple, la vieille Mama Xian-Zi qui recueille à la sueur de son cœur et sans moyens les enfants abandonnés, filles, handicapés, débiles mentaux ou ceux dont la famille ne peut assurer la subsistance.
Faut-il rappeler à la narratrice, voire à l’auteur Julie Ewa, que la Révolution culturelle de Mao a fait trente millions de victimes et qu’elles n’étaient pas dans leur grande majorité, loin s’en faut, coupables ? Que beaucoup d’entre elles ont été torturées, assassinées ou emprisonnées pour simplement être ce qu’elles étaient, des individus sains de cœur et d’esprit, refusant la dictature de la pensée ? Faut-il lui rappeler que depuis, bon nombre de Chinois, opposants aux régimes despotiques qui se sont succédés, ont montré et montrent encore un courage obstiné et paient cette implication de leur liberté, voire de leur vie, dont ces femmes qui risquent la leur pour mettre au monde justement des filles ? Rayées également du récit et de l’histoire récente, les manifestations de la place Tian’anmen, entre massacre et répression, où des gens qui refusaient cette Chine oppressante et conservatrice, doivent être ébahis d’apprendre qu’ils ont l’esprit ankylosé. Joli brainwashing, non ?
Les Petites filles de Julie Ewa. Ni bien ni mal écrit. Comme la plupart de ces thrillers, s’ils étaient soumis, tel un vin, à une dégustation lecture à l’aveugle, son anémie stylistique et son verbe falot, le rangeraient sûrement, sans que l’on ne sache plus vraiment qui a écrit quoi, aux côtés d’un Musso, d’un Bucci, d’un Chattam, d’un Levy ou même d’un auteur autoédité, tant les ingrédients de leur succès littéraire sont interchangeables. Une intrigue bien ficelée, du suspens, deux ou trois protagonistes suffisamment charismatiques, voire exotiques comme le moine bouddhiste Yao-Shi et son incontournable sagesse, pour provoquer chez le lecteur un processus d’identification, de l’émotion, des larmes, du sexe mais pas trop, ce qu’il faut de suggestif, et bien sûr, une pincée de culture afin de donner au lecteur, la sensation vertigineuse d’apprendre sans apprendre, comme s’il lisait un journal ou les news sur Facebook.
Quod est inferius, est sicut quod est superius. (Ce qui est en haut et comme ce qui est en bas), affirmait déjà le mythique Hermès Trismégiste. Il en va de même pour la médiocratie. Il y a des bouquins qui sont toxiques dans ce qu’ils véhiculent une vision faussée du monde qu’ils appréhendent à partir de la leur, toute en étroitesse, en ignorance et en morale sûre de sa bien-pensance. Des bouquins touristiques. Les pires sont ceux des Bisounours.
© L’Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott – 29/12/2015
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Notes
– Avortements abusifs, inclus à quelques jours de l’accouchement ; stérilisations forcées y compris par représailles chez des femmes ayant dépassé l’âge de procréer ; ruine matérielle ou géographique des familles chinoises soumises à des amendes faramineuses et contraintes à la fuite ou à l’abandon de leur terre, sans oublier ces milliers enfants illégaux (en Chine, les « heihaizi ») ou abandonnés, vendus comme esclaves aux multinationales et aux bordels ou intégrant le trafic d’adoption et d’organes, etc., (pratiques ordinaires dans de nombreux pays) La liste est longue…
2. – Pourquoi tant de garçons ? Demandez à l’Occident
Blog de l’auteur de l’article ci-dessus : http://www.marahvistendahl.com/
Les petites filles, Julie Ewa
Albin Michel, 01/2016
ISBN : 978-2- 226 -32272 -2
Tout ceci n’est pas faux, mais c’est du copié collé de l’avis de Médiapart
Bonjour
Voyez-vous Chère Muriel je publie mes articles sur plusieurs supports dont Médiapart, La Cause Littéraire,
Pluton Magazine et mon blog…
Alors, je comprends mieux… Je trouvais ça énorme!
Désolée, mais je n’avais pas vu votre signature sur Médiapart.