Je suis toujours extrêmement méfiante à l’égard de ce dont tout le monde parle. La vulgarisation n’est jamais bien loin de la vulgarité. Preuve en sont les plaidoiries inquisitrices qui désignent à la vindicte populacière, l’excitant à se joindre à l’exaspération d’une coterie outragée, le livre Merci pour ce moment, rédigé par une ex-Première Dame, marquée du sceau infamant de Maîtresse* (restons poli) de la République, comme la presse pipolisée, adoubée par des politiques bas de tête et de cœur, aimait alors l’appeler quand elle était encore en fonction.
Mon intention n’était nullement de me plonger dans la lecture de cet ouvrage. D’abord par cohérence avec moi-même. Je me refuse à alimenter de mes deniers – dits de loisir – un système qui vu d’en-bas ressemble de plus en plus à une farce ubuesque nous rabaissant tous au plancher des vaches. Mais, il faut croire que tous les Indignés de cette République ignominieuse laissent facilement leurs convictions au placard dès lors que le choix les implique. Car toutes justifications bues et prise d’une fièvre voyeuriste et d’un engouement jubilatoire pour la culture, foin de la crise ! Voici que la France entière – moyennant « phy- nance » – se met à la lecture ! Les dessous chics et culottes sales du gouvernement en place font le buzz dans la plupart des chaumières, un regain de popularité moqueuse dont se serait certainement bien passé l’Élysée actuellement – le Palais comme on le nomme, selon l’auteur – entre gens de bonne compagnie.
Il faut croire que la destinée de Merci pour ce moment était aussi de me passer sous les yeux, puisque je l’ai trouvé par hasard en téléchargement gratuit sur le net, alors que je recherchais, belle ironie, le Dur métier de vivre de Cesare Pavese.
Ayant été shootée ces derniers jours, comme tout un chacun, par les commentaires acerbes de ceux qui sont grassement rémunérés pour penser à notre place, puis bercée par des extraits plus cons qu’affriolants soigneusement marketisés par la presse et l’éditeur dudit livre, et enfin sommée de rejoindre le chœur médisant de cette chasse aux sorcières, honnêteté citoyenne plutôt qu’intello oblige, je me suis dit qu’avant de me glisser dans cette fosse d’orchestre, il me fallait au moins savoir de quoi il retourne. Monter au créneau de l’indépendance d’esprit. Effacer les raccourcis incendiaires facebookiens qui s’expri- ment rarement en connaissance de cause. Rayer les plaintes envieuses des petits éditeurs, des écrivains et des auteurs en mal de célébrité éditoriale. Les premiers, du moins pour la plupart, auraient sans doute fait moins la fine gueule si le manuscrit avait été propulsé dans leur maison, y voyant là un argument financier juteux, les seconds râlant – à juste titre ou non – selon l’aune qu’ils prêtent à leur talent. Négliger enfin les diatribes médiatiques réduisant Valérie Trierweiler à une hystérique jalouse, revancharde et mal baisée. Omettre le fait également que ses accusateurs les plus virulents, dûment nominés par l’ex-Première Dame, ne sont certainement pas les plus innocents.
Les premières pages de Merci pour ce moment sont d’une mièvrerie harassante et impudique. Les histoires d’amour qui finissent mal, renvoient les protagonistes dans des limbes miséreuses, quand non misérables. On y voit une femme blessée dans son amour propre, un homme pressé d’en finir avec tout ce bazar qui n’a plus rien d’amoureux. On rentre dans l’intimité d’un couple, et donc dans la nôtre, par effraction. Cette femme qui pleure, qui noie son désespoir dans les somnifères et les anxiolytiques pour oublier sa douleur, cet homme qui se défile gauchement devant le désastre qu’il a construit – en toute complicité participative – avec sa compagne, se révèlent affligeants, éreintés qu’ils sont et dépassés par ce drame que leurs fonctions officielles au service de la République étalent officieusement en place de Grève. Bafouée, elle l’est certainement, puisque renvoyée solennellement et cavalièrement comme une fille de ferme par cet homme fuyant qu’elle dépeint non comme un timide, sinon comme un introverti pathologique.. On peut en rire, en faire les gorges chaudes, oublier pieusement que l’on est tous, bobos nantis ou pas jojos, de droite, de gauche, du centre ou de nulle part, passés par les affres de la séparation amoureuse, armés jusqu’au délire de tous les coups bas inimaginables.
Le plus intéressant de ce livre n’est nullement dans ces aveux maladroitement affichés et notre voyeurisme de boulevard, sinon dans ces coulisses du pouvoir, celles que l’on cache sous le tapis une fois les rideaux d’apparat retombés, telles que nous les décrit Valérie Trierweiler. Passé le côté agaçant de « mon bel amour François et mon pauvre amour perdu François », le portrait qu’elle trace du pouvoir, de ses arcanes et de ses acteurs est absolument terrifiant. Cynisme et mensonges, médisance et lâcheté, carriérisme et courtisanerie. Chacun y défend âprement son seul beefsteak. Le bien-être des élus est un leurre. Leurs voix, réservées à la seule utilité des urnes. Une fois acquises, le monde du pouvoir s’en lave allègrement les mains. Chacun pour soi, le diable fera le reste ! A la caste en place, les ronds de jambe, les baise-mains, les coups de Jarnac, les paillettes, les privilèges et les réseaux qui vont avec. Au peuple, aux « sans-dents« – expression faisant peut-être référence à l’anglais toothless, désignant non sans mépris les classes inférieures – de se débrouiller avec les miettes d’un spectacle qui n’a rien de créatif, tant il se répète avec notre entière collaboration depuis des lustres. S’en étonner est d’une belle hypocrisie tant il illustre l’éternelle guerre larvée qui finit toujours par opposer le voté et le votant… Cocufiage à toutes les sauces et à tous les étages !
L’auteur s’en dit effarée, voire une victime collatérale. Croire en sa naïveté, argument qu’elle défend vigoureusement en s’appuyant sur ses origines modestes, est une insulte à son intelligence. Croire qu’elle ignorait l’ambigüité du rôle de Première Dame et qu’elle aurait été parachutée dans ce statut inconfortable sans y avoir été préparée, voire sans y avoir elle-même réfléchi, est nous prendre pour des imbéciles. Elle tombe d’autant plus stupidement dans le piège qu’elle a été animatrice d’émissions télévisées et journaliste politique. Elle a ainsi assidument fréquenté durant de nombreuses années cet univers, à commencer par son « François » dont elle a partagé en toute amitié, les espoirs et les déboires quand il ne représentait encore rien pour personne. J’ai donc du mal à admettre que c’est en tombant dans la fréquentation intime de ses ruisseaux qu’elle a découvert l’ampleur du cloaque ! Il y a fort à parier que ce qu’elle nous décrit est inhérent à bien des puissants de ce monde, l’argent et le pouvoir jouissant d’une belle impunité. Preuve en sont tous les scandales, vite étouffés vite balayés, dont on ne connait que les dévoilements succincts et peu nuisibles pour l’élite. Et il est absolument certain que si toutes les Premières Dames de la planète se mettaient à jour les Pénélope sincères, on en apprendrait de belles et de semblables. A eux, les guerres, les connivences diplomatiques et les G8. A elles, l’humanitaire, le caritatif et les potagers. Et le sexe pour tous entre deux tours de table.
Il n’en reste pas moins vrai que cet ouvrage laisse un goût d’amertume. On a honte que des gens pareils nous gouvernent. On a honte que nos vies soient modelées par leurs décisions incertaines qui n’ont souvent rien à voir avec le bien-être du peuple qu’ils prétendent protéger. On a honte que la démocratie soit réduite à un torchon de jeux de pouvoir qui nous fait courir comme des lapins vers les urnes. On a honte que l’homme François Hollande soit tellement anormalement normal, que le Président, décrit comme une rock star plus friande de bains de foule et d’étreintes manuelles que serti de fermes convictions et de généreuse empathie, en devienne absolument pathétique. Attendre qu’il commente les assertions de Valérie Trierweiler serait, pour lui, comme se tirer une balle dans le pied. On le voit mal réitérer son « Je tiens à dénoncer comme pure affabulation les passages du livre » comme il l’avait fait pour La Frondeuse. Mais on sourit de l’indigence prêtée à nos services secrets et on s’interroge sur les buts réels de ce laisser-faire éditorial. On sourit, non sans tristesse, à constater que toutes ces Premières Dames si promptes à critiquer à défendre la condition des femmes, se laissent aussi facilement gruger par les oies de ces capitoles où la rébellion est assimilée à un manque de savoir-vivre. Tout ne serait que mensonges et fariboles ? Je ne le pense pas. En bonne professionnelle, la journaliste Valérie Trierweiler a mesuré parfaitement la limite acceptable – et donc acceptée – de ses aveux. « Tout ce que je dis est vrai« , prend-elle le soin de mettre en exergue.
Le pouvoir est certainement un mal très séduisant et ses lustres, un papier tue-mouches de luxe. Néanmoins, on rigole nettement moins en pensant que hier comme aujourd’hui et demain, on se laissera à nouveau berner par celles et ceux que l’on porte volontairement à la cime de tous les pouvoirs, en leur donnant carte blanche.
Comme le disait Michel Audiard, « les conneries c’est comme les impôts, on finit toujours par les payer« .
© L’Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott – 06/09/2014
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