Mesdames, messieurs, une petite haine bien fraîche… ?

Grâce à son intelligence, l’homme peut visser des boulons chez Renault
jusqu’à soixante ans sans tirer sur sa laisse.
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Pierre Desproges

Dans les entrailles de ce Paris que j’avais tant aimé et à la fois haï, je déambulais entre les ordures, les paumés, les rats et quelques âmes tellement défoncées qu’elles se prenaient pour des Alice au pays des merveilles. La caducité de nos pauvres vies dépendait ironiquement d’une pilule verte phosphorescente que les militants de la survie nous octroyaient de manière aléatoire. Notre monde se mourait et c’était bien ainsi, tout le monde en était persuadé.
La vie d’en haut n’existait simplement plus et l’air y était fatal.
En ce matin où je ne me supportais plus comme à l’époque de mes lâchetés ou de mes dernières illusions, je décidais d’aller faire mon marché. Il devenait urgent de trouver de quoi becqueter pour mon âme bien trop désolée et anémique, ancienne otage  consentante des Google et autres artefacts.
Il faut dire ici sans l’ombre d’un doute, qu’hier comme aujourd’hui, mon pays, ma région, ma ville, ma rue, moi et mes fourvoiements… empestaient vraiment.
Arrivé au trente-sixième sous-sol bétonné dur, où des tripots, des stands étaient plein de bonimenteurs bien politisés, l’un d’eux me prit par le bras et m’attira fermement, le sourire carnassier aux lèvres.
— Que désirez-vous mon bon monsieur ?
— Cela dépend de quoi, cher fils de pute, vous pouvez me nourrir aujourd’hui !
— Eh ! bien, j’ai des haines bien fraîches, bien ineffables, garanties sans regret, ni remords
— Vous n’avez que ça à me proposer ?
— Oh non ! nous avons en quantité infime, quelques amours, un peu de bienveillance et encore plus rare… du courage.
— Pourquoi si peu ?
— Simplement, il n’y a pas de demande ! Et vous-même, de quoi désirez-vous vraiment vous délecter ?
— Montrez-moi…vos haines s’il vous plaît.
— Voyez là, le choix de saison ! Ici, la meilleure, mais la plus chère : une bonne haine de soi, une authentique allergie à votre être, suicide garantie. Mais attention, ne l’épicez pas de pardon, elle deviendrait immangeable. Ensuite, mais d’une saveur plus forte, plus ancienne, plus profonde, une haine de la femme et pour être plus précis, du féminin. Un zeste de misogynie en révèlera au mieux le goût.
— Et celles-là ?
— Ah ! ici, c’est la haine de la beauté sous toutes ses formes. Elle sécrète un suc virulent et corrosif que certains connaisseurs adorent. Et tels les anciens anchois, là, disposés en étoile dans une saumure d’ignorance crade, je peux vous proposer des petites haines mélangées : celles de la science, des mondes invisibles, de la Terre et quelques brisures de haines plus ou moins inavouables…
— Et celle-ci ? Elle est énorme et me plait bien.
— Et bien monsieur, on voit le connaisseur !
Il saisit de ses énormes mains boudinées cette haine millésimée, la mit devant le visage et tenta avec un ridicule assumé de mimer son nom.
— Je ne vois pas… Vraiment pas …
— C’est difficile je vous l’accorde ! C’est la haine de l’Etat.
— Ok ! là vous me mettez l’écœurement à la bouche Mettez m’en une de chaque et s’il vous plaît, dites-moi comment les cuisiner et les accompagner.
— C’est très simple ! Mais un petit coup de vice sera toujours le bienvenu.
Pour mitonner une bonne haine, afin quelle puisse se digérer et s’assimiler de la meilleure manière, il faut la cuire avec une conviction inébranlable et après l’avoir faite légèrement brunir dans un dogmatisme sans faille, la déguster aux quatre vents de l’inculture pour lui donner ses lettres de noblesses. Vous pouvez l’accompagner d’une croustillante amertume, sincère si possible. Pour la boisson, le mieux est un vin liquoreux d’ignorance et de j’m’en foutisme. Le meurtre conclusif passera mieux.
— Je vous remercie vraiment pour vos beaux produits. Mais dites-moi, vous en avez toujours de disponibles ?
— Oh ! oui, la production ne ralentit jamais. Aujourd’hui, la haine sous toutes ses formes a gagné sur les peurs d’antan qui, elles, ont disparu. Si vous et moi survivons encore un peu et que l’on a le malheur de se rencontrer une seconde fois, vous me direz comment vous les avez trouvées. Je vous fais cadeau en sus de cette petite haine de la vérité et de celle du doute. Vous m’en direz des nouvelles !
— Merci, merci fils de pute. Combien je vous dois ?
— Pour vous ce sera mille inspir et expir, sonnants et trébuchants.

20.06.2023 – Patrick’s. O’nolan

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1 Comments

  1. Un texte bien écrit et prémonitoire vu le chaos que vit la France… Cet auteur a écrit une perle: « Parlons de transidentités avec délicatesse: Le sexe inclusif »

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