Les passagers perdus de Stéphane Bellat

Il est des histoires, quels que soient le genre et le support qu’elles empruntent, dont l’important n’est pas ce qu’elles racontent à celui qui les reçoit, sinon la capacité de réflexion qu’elles drainent avec elles. Les Passagers perdus de Stéphane Bellat en sont un exemple. Plus que de la science-fiction ou de la fantasy, étiquettes que l’on pourrait facilement lui attribuer, ce roman relève de la parabole. Ancré dans notre modernité, son auteur utilise le quotidien désertique et prévisible du héros, Marc Loebb, cadre supérieur dans une puissante entreprise canadienne, comme point d’appui servant d’envol vers une autre dimension, cet invisible que nous côtoyons à chaque instant, sans jamais aller souvent plus loin que la figuration séduisante ou terrible que nous lui prêtons. Au mieux, nous y projetons nos fantasmes prétentieux d’êtres de chair et de sang, au pire nous lui nions toute possibilité d’existence. Prenant conscience que sa vie compétitive et solitaire n’a de sens que pour les lois matérialistes de notre société de consommation, suite à un jeu de circonstances improbables, le héros s’éveille à lui-même dans une réalité autre, mais quasi homothétique de celle où son décès laissera à peine l’empreinte de l’instant. Poursuivant la métaphore, l’auteur nous présente somme toute deux aspects opposés et complémentaires de la même réalité. A vouloir tout maîtriser dans l’une, la nôtre, on y provoque suivant la loi d’action et de réaction, l’irréparable et un enchaînement de catastrophes individuelles et collectives qui n’ont pas lieu dans l’autre, où l’on respecte quasi-naturellement la loi du non-agir. Dans la première, l’homme est livré à lui-même face à un destin où son libre-arbitre, même dans sa marge la plus étroite et bienveillante, en bouscule à tort la programmation. Dans l’autre, l’éveil à lui-même est encadré par des guides. Ceux-là ne sont pas des anges tombés du ciel, sinon des êtres humains, des passagers perdus, à qui l’expérience lucide de leur propre vie a donné des ailes. Si l’homme endormi survit dans les tours d’ivoire assassines qu’il se construit, l’homme éveillé, lui, participe au monde en y exerçant anonymement et de façon désintéressée sa faculté d’amour unificatrice, à la fois salvatrice et rédemptrice. L’entendement, la volonté et l’amour de soi sont les trois principes indispensables qui conduisent de l’endormissement à l’éveil, de l’abrutissement inconscient à la clairvoyance. Passer d’un état à un autre est douloureux et a des conséquences parfois dramatiques sur la totalité. Il y a toujours un tribut à payer, quelque soit le chemin que l’on emprunte.

La métaphore des Passagers Perdus ne véhicule donc aucun thème novateur. Celui-ci a été développé depuis la nuit des temps par des écrivains mystiques, souvent hermétiques, relayés aujourd’hui par tous les littérateurs New Age, les prédicateurs de l’apocalypse 2012 et vulgarisé par Paul Coelho et ses clones. On pardonnera à cet ouvrage de tisser son œuvre bienveillante autour d’exemples historiques par trop évidents (référence à Hitler) ou actuels (tsunami de 2004), ou ses références exclusivement judéo-chrétiennes, tout comme parfois une certaine lenteur et des maladresses de style, éléments qui pourraient conférer à son message, un aspect caricatural. Mais sa lecture offre une pause nécessaire et rafraîchissante. A celui qui dort, il ouvrira peut-être des territoires, lui permettant de comprendre que tout dépend de lui, de la manière dont il se positionne dans le monde par rapport à lui-même et donc à l’Autre. Il lui fera peut-être prendre conscience du carcan où l’enferme son égoïsme et ses peurs. Ne pas se connaître, c’est mourir. A celui qui s’est dégagé des brumes du sommeil, il rappellera sans doute que rien n’est jamais acquis.

Les Passagers Perdus de Stéphane Bellat
Editions Guérin, Canada, 2011
ISBN :  978-2-7601-7290-6 , 304 p.
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