Ma truite d’amour,
Je t’ai rencontré chez un merlan. Tu te faisais rectifier la voilure au plus court. Je suis resté muet comme une carpe, tellement tu étais roulée comme une belle dorade. Il faut dire que je ne suis pas très avenant et grand comme une perche. Frétillant comme un gardon et bien décidé à mordre tes appâts, j’ai mis le turbot craignant que tu ne files comme une anguille. Avais-je fait une touche ? En tout cas, j’avais l’eau à la bouche et me sentais chançard comme un poisson dans l’eau. Mon marin de père m’aurait dit que si je voulais mailler avec toi, il fallait te garder dans l’épuisette, sinon gare au poisson d’avril. Mais, entre nous, ça sentait bon la friture. Heureux comme des poissons dans l’eau, nous sommes partis bras dessus bras dessous nous dessaler au bar du coin. Vrai de vrai, nous avons bu la mer et les poissons, avant de partir en queue de poisson nous écailler le corps dans un douillet aquarium. J’espérais que notre amour deviendrait grand comme le petit poisson. Ma vendeuse de marée de mère m’a mis en garde. « Ta truite et toi, vous n’êtes pas du même bord. Elle, la gauche caviar et toi, le menu fretin. Gare aux arêtes ! Le mariage de la carpe et du lapin, c’est du contre nature. » J’ai essayé de noyer le poisson qu’elle voulait me faire gober, en songeant que ma vieille était vraiment une tanche. Une vache qui broute dans l’océan, ça le fait pas trop. Finalement, ma truite d’amour, ma mère et moi, on s’est engueulé comme du poisson pourri. J’ai claqué la porte de mon bocal. Je ne suis peut-être pas un dauphin, mais je sais qu’entre nous, il y a baleine sous gravillon et crois-moi, ma truite d’amour quand on tombe dans l’eau, plus jamais la pluie ne te fait peur.
© L’Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott –07/04/ 2017
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