Tous écrivains ?

Il y eut une époque, pas si lointaine, où le style de l’auteur, sa qualité d’écriture, primait sur le contenu et pouvait en faire pardonner la possible médiocrité, extrêmement rares étant ceux qui à chaque livre, sont capables de génie. Impossible donc de confondre un Céline avec un Dostoïevski ou un Cendrars avec un Camus, une Yourcenar avec Elfriede Jelinek (quasiment personne ne sait qu’elle fut prix Nobel de littérature en 2004), le plus beau cas restant celui de Romain Gary et d’Emile Ajar, à qui la bien-pensance intellectuelle ne pardonna jamais l’éclectisme de son talent.

Aujourd’hui, il semble que ce temps soit révolu. Tout comme les caméras digitales ont vulgarisé l’image jusqu’à faire croire à n’importe qui, capable d’appuyer sur un bouton, qu’il possédait le talent d’une Diane Arbus ou d’un Richard Avedon, le clavier de nos ordinateurs, branchés sur Internet, nous convainc que quiconque a quelque chose à dire, est un grand écrivain en germe ou à l’œuvre. Il faut dire que nous avons de bons maîtres, à savoir les grosses maisons d’édition françaises qui dictent à nos esprits ce qui est bon à consommer, oublieuses de préciser qu’appartenant souvent à des multinationales de l’écrit (pour la plupart des groupes éditoriaux étrangers), elles sont cotées en Bourse et donc sommées d’une croissance annuelle de 8%.

Aujourd’hui, un livre incarne donc avant tout un produit bien ficelé qui doit se vendre à des milliers d’exemplaires et faire un buzz, si possible international, dans l’esprit imberbe du lecteur, en général de sexe féminin. Il suffit donc de suivre la recette, quoiqu’il soit nécessaire d’en être capable, et d’un auteur à l’autre, pratiquer l’art interchangeable du copier-coller.

Il vous faut donc une histoire d’amour tissée d’obstacles (voir Marc Levy, elle est out, plongée dans un coma cérébral, il est in, fantôme ou surgi d’une vie antérieure) et d’oppositions de genres (toujours Marc Levy, il est un sale patron, elle est une passionaria des démunis), ou mieux encore une histoire qui pourrait arriver à n’importe lequel d’entre nous, entre comédie romantique et thriller improbable (cf. Guillaume Musso dans L’Appel de l’ange). La célèbre cuisine Harlequin faisant toujours recette, l’incongruité n’est même pas envisageable, l’amour triomphe toujours.

Il ne s’agit pas de réfléchir, ni d’être surpris, voire bousculé, encore moins curieux, sinon d’être en conformité avec ce pourquoi on a été formaté. Tout doit se dérouler comme on l’imagine viable dans une autre vie glamour, en marge de celle que l’on se coltine tous les jours et qui ne sent pas toujours la violette, étant tous bien sûr des êtres libres en puissance, à condition de s’en donner les moyens et pour commencer, en cultivant cet amour insondable des sages orientaux qui nous rabâchent qu’à grand cœur, rien n’est impossible, voire même de trouver les pires des salauds, comestibles… Musso nous l’assène dans Je reviens te chercher : « Le destin, ça n’existe pas. Le destin, c’est l’excuse de ceux qui ne veulent pas être responsables de leur vie. La vérité, c’est qu’on ne récolte que ce qu’on a semé… « 

Qu’on se le tienne pour dit ! Tous ceux qui cherchent de quoi bouffer pour ne pas crever  dans les poubelles planétaires, sont des loosers irresponsables. Marc Lévy d’ailleurs en sait quelque chose et exhibe ses certitudes comme des prêches New Age : « Dépêchez-vous de vivre, dépêchez-vous d’aimer. Nous croyons toujours avoir le temps, mais ce n’est pas vrai. Un jour, nous prenons conscience que nous avons franchi le point de non-retour, ce moment où l’on ne peut plus revenir en arrière. Ce moment où l’on se rend compte qu’on a laissé passer sa chance… »

Et si l’on n’a pas compris le message, ce n’est pas grave, on peut s’approprier la sagesse rabâchée, revue et corrigée qui nous dresse comme des ânes et ferait sans doute mourir de rire et de honte Mullah Nasrudin : « Ayez la sérénité d’accepter ce que vous ne pouvez pas changer, le courage de changer ce que vous pouvez et surtout la sagesse d’en connaître la différence…  » (Vous revoir, Lévy 2005), tant leur profondeur est insoutenable : « Le plus important n’est pas de savoir si on est vivant après être mort, mais d’être vivant avant d’être mort. »(Et après, Guillaume Musso).

A cette soupe de l’écrivain millionnaire en publications, il ne faut surtout pas oublier d’ajouter également une pincée de sexe, mais pas du trivial qui bascule dans les sueurs intimes les plus crues, voire pornographiques avec des odeurs de sperme et de vagin qui s’éclatent, comme le faisait Henry Miller. Non, l’époque est au clean et au spirituel. Le sexe doit se transcender en une expérience quasi mystique où les âmes fusionnent. « Bouches qui murmurent, corps qui s’agrippent, respirations qui s’accélèrent. Cheveux qui s’emmêlent, cils qui papillonnent; souffles qui s’échangent. C’est comme le baiser d’un ange, comme la musique des sphères. Comme le vertige du funambule en équilibre sur un fil. » (Je reviens te chercher, Guillaume Musso)

Pour faire passer la pilule et taire notre perplexité, il faut aussi user d’une écriture visuelle, un télézapping verbal, quand non verbeux, frisant la description clinique consternante : « Il quitta la pièce sans se retourner. Lauren caressa de nouveau la moquette, ravie. Une demi-heure plus tard, Arthur enfilait un jean et un gros pull en cashmere et sortait de la salle de bain. Il manifesta l’envie d’aller dévorer une bonne viande« .(Levy)

Ou encore battant le rappel de la misère de notre modernité, il faut savoir  camper le décor dans un navrant dont vous êtes l’innocente victime : « Vous n’avez que vingt-trois ans, mais déjà votre existence vous apparait formatée et sans espoir. Il faut dire qu’à votre naissance, les fées ne se sont pas bousculées autour de votre berceau – (c’est la faute à pas de chance). Vos parents ont trimé toute leur vie, mais cela n’a pas suffi pour vous payer des études (nuls sur toute la ligne, surtout matérielle), et depuis la fin de votre scolarité, vous travaillez sur des chantiers avec Jimmy. Votre quotidien, c’est des sacs de ciment, les échafau-dages, la transpiration et les engueulades du contremaître. Vos loisirs ? Boire quelques bières après le travail, accompagner Marisa au supermarché, faire une partie de bowling deux fois par semaine avec les copains. » (le quotidien, c’est vraiment la honte, surtout quand on le subit!)… […] Bref : « Votre avenir ? C’est un mariage sans passion, deux ou trois enfants, vous crever à la tâche pour rembourser l’emprunt immobilier pour l’achat d’un pavillon que vous n’aimerez pas. Et vous continuerez à jouer au bowling, à boire des bières, à refaire le monde avec Jimmy, sans y participer vraiment… « 

A lire cela, je me dis que c’est comme dans le monde des rillettes, on ne doit pas faire partie du même… Mais tous les indignés qui poussent comme des champignons sous la voix merchandisée d’un vieillard, doivent s’y reconnaître ! Et bien sûr, tout ce bordel innommable trouve sa rédemption dans la reconnaissance médiatique : « Un jour, il y aura ma photo à la une de ce journal. Dans quinze ans, c’est moi qui serai là. Je le jure… »

A l’extrême, il y a l’impayable et gothique Amélie, avec sa haine misanthrope, sa culpabilité obsessionnelle, ses obèses et ses anorexiques, ses amours glauques et ses descriptions inoubliables : « Monsieur Haneda était le supérieur de monsieur Omochi, qui était le supérieur de monsieur Saito, qui était le supérieur de mademoiselle Mori, qui était ma supérieure. Et moi, je n’étais la supérieure de personne. On pourrait dire les choses autrement. J’étais aux ordres de mademoiselle Mori, qui était aux ordres de monsieur Saito, et ainsi de suite, avec cette précision que les ordres pouvaient, en aval, sauter les échelons hiérarchiques. Donc, dans la compagnie Yumimoto, j’étais aux ordres de tout le monde. » Et ses dictons littéraires qui font œuvre au noir de pierre philosophale pour les adeptes de citations obtuses : « Il y a un instant, entre la quinzième et la seizième gorgée de champagne, où tout homme est un aristocrate… » Si être bourré comme une cantine, conduit à la noblesse, bénissons les alcools party de fin de semaine !

Mais ne rechignons pas, cette littérature de variété, que d’aucuns qualifient de gare, celle qui ose dire : « on n’invite pas la mort, elle s’invite » (Marc levy) – « l’univers existe pour que j’existe » ou « Qu’est ce qu’une fleur? Un sexe géant qui s’est mis sur son trente et un« . (Nothomb) – plait, et bigrement. Elle s’arrache des étagères et remporte les palmes des ventes. La fiction de consommation massive répond à un réel besoin de catharsis individuelle qui nous fait supporter tout ce à quoi nous nous résignons et acceptons collectivement d’un faut faire avec désabusé… Pathétique !

Faut-il s’étonner alors que tout un chacun se sente pousser des plumes écrivassières ?

Comme disait l’autre : Sic transit gloria mundi (ainsi passe la gloire du monde)…

© L’Ombre du Regard Ed., Mélanie Talcott  – 2011

Publié sur Culture Chronique

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1 Comments

  1. Je passe juste pour te remettre la Palme 2011 de la Critique Littéraire, et te remercier pour le fou-rire mémorable que je viens de me payer en lisant cette perle d’ironie qui fracasse !
    Un vrai régal, criant de vérité…
    …hélas !

    Gros bisous

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